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LA MARQUISE DE GANGE

dans le calcul infâme que vous osiez me proposer. Supposons que je me livre à vous, que restera-t-il après l’immolation de votre victime ? Pourrez-vous adorer encore la malheureuse que vous viendrez d’égorger, et pourrai-je, moi, concevoir d’autre sentiment que celui de la haine pour l’homme Vil qui m’aurait servi de bourreau ? Respectons-nous, honorons-nous davantage, monsieur ; méritons tous deux notre propre estime : on peut y parvenir par des sentiments contraires à ceux que vous employez ; on ne peut que se haïr, que se mépriser mutuellement, en mettant en usage ceux que vous osez concevoir. Vous m’aimez, dites-vous, prouvez-le-moi, en me faisant conduire chez ma mère, ou chez le gouverneur de la ville : à cette condition, je vous pardonne ; celle-là seule, en méritant de moi de la reconnaissance, pourra peut-être quelque jour vous obtenir un sentiment plus doux… Mais, que je sois libre, que les portes s’ouvrent, que je puisse à l’instant sortir d’une maison où la marquise de Gange, insultée par Valbelle, ne verrait plus en lui que le plus méprisable des hommes.

Ces paroles, prononcées avec la plus grande énergie, firent une telle impression sur l’âme du comte qu’il saisit en larmes la marquise dans ses bras, l’assit, et la supplia d’être tranquille.

— L’ascendant inouï de vos sublimes vertus, lui dit-il, l’emporte en ce moment, madame,