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LA MARQUISE DE GANGE

reste, soyez parfaitement tranquille ; nous sommes seules ; j’ai les clefs de tout ; nous partirons à la pointe du jour.

Madame de Gange se rendit avec peine à ce délai, mais il était nécessaire. Julie la fit souper, et l’établit ensuite dans une fort jolie chambre, où elle se plaça sur un lit de sangle près de l’alcôve où reposait celle dont la garde lui était confiée.

Il est bon d’observer ici que l’intrigante Julie, fort bien payée par Valbelle et par le chevalier de Gange, était aux ordres de tous deux ; et ce dernier, sur tous les points de moitié avec son ami, ne s’écartait en rien du projet d’avoir également la marquise, et de la déshonorer de concert après l’avoir eue.

Madame de Gange, beaucoup trop agitée, ne put fermer l’œil de la nuit ; les plus sombres pensées l’agitaient. Errante sur les ronces de la vie, elle se plaisait à s’y égarer sans les écarter ou les fuir.. On eût dit qu’elle laissait aux furies le soin de prolonger son existence, et que la trame de cette triste vie n’était filée par les filles de l’Erèbe qu’avec les serpents de Mégère ; elle respirait pour le malheur, sans le repousser ni le craindre ; elle s’en repaissait… Situation déchirante de l’âme, heureusement ignorée des sots et dont l’infortune se compose une jouissance.

Tout à coup elle entend le bruit des rames