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Milan et Lyon. — À la bonne heure. Nous dînâmes. Durand me dit qu’elle voulait faire toute la dépense, qu’elle se payerait sur le gain ; mais qu’elle me suppliait de ne pas lui enlever le plaisir d’avoir l’air de m’entretenir : j’y consentis… Je mettais, je l’avoue, la même délicatesse à recevoir ses soins, qu’elle en mettait à me les rendre. Le crime a donc aussi ses délicatesses ; il connaîtrait bien mal les hommes celui qui ne le croirait pas.

Est-il vrai, dis-je à ma nouvelle compagne, que tu possèdes le beaume de longue vie ? Ce beaume n’existe point, me dit la Durand, ceux qui le distribuent ne sont que des imposteurs ; le vrai secret, pour prolonger sa vie, est d’être sobre et tempérant ; or, nous sommes trop loin de ces vertus pour espérer les dons du beaume. Eh ! qu’importe, ma chère, il vaut mieux vivre un peu moins, et s’amuser : que serait la vie, sans les plaisirs ? Si la mort était un tourment, je te conseillerais d’allonger ta vie ; mais comme ce qui peut nous arriver de pis, est de retomber dans le néant où nous étions avant que de naître, ce doit être sur l’aile des plaisirs qu’il faut parcourir la carrière. —