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sons, m’offrait différentes manières de leur ravir le jour ; mais le coup, selon moi, n’eut pas été aussi sensible pour une mère tendre et idolâtre de ses filles : je voulais une mort plus frappante, infiniment plus prompte ; le sein des vagues sur lequel nous flottions me présentait pour elles un sépulchre où j’aimais mieux les engloutir. Ces deux jeunes personnes avaient l’imprudence (et j’étais bien étonné qu’on ne les en eût pas encore empêché) d’aller s’asseoir sur le bord du tillac, pendant que l’équipage faisait la méridienne. Le troisième jour de notre traversée, je saisis l’instant ; je les approche ; et, les enlevant toutes deux à brasse-corps, en empêchant leurs mains de s’attacher à moi, je les culbute d’un bras vigoureux dans l’élément salé qui doit les ensevelir à jamais. La sensation fut si vive, que j’en déchargeai dans mes culottes. On se réveille au bruit ; j’ai l’air de me frotter les yeux et d’appercevoir le premier quelles sont les victimes de cet accident ; je me précipite vers la mère. Oh ! madame, lui dis-je, vos filles sont perdues. — Que dites-vous ? — Une imprudence… elles étaient sur le tillac… un coup de vent… elles sont perdues, madame ! elles sont perdues ! On ne se peint point la dou-