Page:Sade - La nouvelle Justine, ou les malheurs de la vertu, suivie de L'histoire de Juliette, sa soeur, tome 6, 1797.djvu/139

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moins de crainte, qu’il serait bien certain de se rendre aussi utile à la nature, ou par ses cruautés, ou par ses désordres, que le plus honnête des hommes par ses qualités bienfaisantes et par ses vertus. Nourris tout cela par des actions et par des exemples ; vois souvent des infortunés ; accoutume-toi à leur refuser des secours, afin que ton ame s’habitue au spectacle de la douleur abandonnée à elle-même ; ose te rendre coupable, pour ton propre compte, de quelques cruautés plus atroces, et tu verras bientôt qu’entre les maux produits qui ne te touchent point, et la commotion de ces maux, qui a fait éprouver une vibration voluptueuse à tes nerfs, ne fût-ce que par la comparaison du bien au mal que tu en as retiré, et qui a été trouvée toute à ton avantage ; que ne fût-ce, dis-je, qu’à cause de cela, tu ne saurais balancer un instant ; insensiblement alors, ta sensibilité s’émoussera, tu n’auras pas prévenu de grands crimes, puisqu’au contraire tu en auras fait commettre, et que tu en auras commis toi-même ; mais au moins, ce sera avec flegme, avec cette apathie, qui permet aux passions de se voiler, et qui, te mettant en état de