Page:Sade - Les 120 Journées de Sodome, éd. Dühren, 1904.djvu/338

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l’empâter, avant de la vendre, et alors elle fit la description de la vieille femme avec qui elle l’avait trouvée et de l’état d’indigence effroyable dans lequel était cette mère. À ces traits au détail de l’âge et de la figure, à tout ce qui concernait l’enfant, Lucile eut un pressentiment secret que ce pouvait bien être sa mère et sa sœur. Elle savait qu’elle avait laissé celle-ci en bas âge avec sa mère lors de sa fugue, et elle me demanda permission d’aller vérifier ses doutes. — Mon infernal esprit me suggéra ici une petite horreur, dont l’effet embrasa si promptement mon physique, que faisant aussitôt sortir notre marcheuse, et ne pouvant calmer l’embrasement de mes sens, je commençai par prier Lucile de me branler, ensuite m’arrêtant au milieu de l’opération. — „Que veux-tu aller faire chez cette vieille femme,“ lui dis-je, „et quel est ton dessein ?“ — „Eh mais,“ dit Lucile, qui n’avait pas encore mon cœur, s’il s’en fallait. — „La soulager, si je puis, et principalement si c’est ma mère.“ — „Imbécile,“ lui dis-je, en la repoussant, „va, va sacrifier seule à tes préjugés populaires, et perds en n’osant les braver la plus belle occasion d’irriter tes sens, par une horreur qui te fera décharger dix ans.“ — Lucile étonnée me regarda, et je vis bien alors qu’il fallait lui expliquer en philosophie, qu’elle était loin d’entendre, je lui fis comprendre, combien sont viles les liens, qui nous enchaînent aux auteurs de nos jours, je lui démontrai qu’une mère pour nous avoir porté dans son sein au lieu de mériter de nous quelque reconnaissance, ne méritait que de la haine, puisque pour son seul plaisir et au risque de nous exposer à tous les malheurs, qui pouvaient nous atteindre dans le monde, elle nous avait cependant mises