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que je suis enchanté des procédés de Duclos, que je la trouve une fille charmante, et que son histoire du comte m’a mis dans un état affreux, dans un état où je crois que j’irais bien volontiers sur le grand chemin arrêter et voler un coche. — Il faut mettre ordre à cela, président, dit l’évêque, autrement nous ne serions pas ici en sûreté, et le moins que tu puisses faire serait de nous condamner tous à être pendus. — Non, pas vous, mais je ne vous cache pas que je condamnerais de bon cœur ces demoiselles, et principalement Mme la duchesse, que voilà là couchée comme un veau sur mon canapé, et qui, parce qu’elle a un peu de foutre modifié dans la matrice, s’imagine qu’on ne peut plus la toucher. — Oh ! dit Constance, ce n’est assurément pas avec vous que je compterais sur mon état pour m’attirer un tel respect ; on sait trop à quel point vous détestez les femmes grosses. — Oh ! prodigieusement, dit Curval, c’est la vérité. » Et il allait, dans son transport, commettre, je crois, quelque sacrilège sur ce beau ventre, lorsque Duclos s’en empara. « Venez, venez, dit-elle, monsieur le président, puisque c’est moi qui ait fait le mal, je veux le réparer. » Et ils passèrent ensemble dans le boudoir du fond, suivis d’Augustine, d’Hébé, de Cupidon et de Thérèse. On ne fut pas longtemps sans entendre brailler le président, et malgré tous les soins de Duclos, la petite Hébé revint tout en pleurs ; il y avait même quelque chose de plus que des larmes, mais nous n’osons pas encore dire ce que c’était ; les circonstances ne nous le permettent pas. Un peu de patience, ami lecteur, et bientôt nous ne te cacherons plus rien. Curval, rentré et grumelant encore entre ses dents, disant que toutes ces lois-là faisaient qu’on ne pouvait pas décharger à son aise, etc., on fut se mettre à table. Après le souper, on s’enferma pour les corrections ; elles étaient, ce soir-là, peu nombreuses : il n’y avait en faute que Sophie, Colombe, Adélaïde et Zélamir. Durcet, dont la tête, dès le commencement de la soirée, s’était fortement échauffée contre Adélaïde, ne la ménagea pas ; Sophie, de qui l’on avait surpris des larmes pendant le récit de l’histoire du comte, fut punie pour son ancien délit et pour celui-là ; et le petit ménage du jour, Zélamir et Colombe, fut, dit-on, traité par le duc et Curval avec une sévérité qui tenait un peu de la barbarie.

Le duc et Curval, singulièrement en train, dirent qu’ils ne voulaient pas se coucher, et ayant fait apporter des liqueurs, ils passèrent la nuit à boire avec les quatre historiennes et Julie, dont le libertinage s’augmentant tous les jours, la faisait passer pour une créature fort aimable et qui méritait d’être mise au rang des objets pour lesquels on avait des égards. Tous les sept furent trouvés, le lendemain, ivres morts par Durcet qui vint les visiter ; on trouva la fille nue entre le père et le mari, et dans une attitude qui ne prouvait ni la vertu, ni même la décence dans le libertinage. Il paraissait enfin, pour ne pas tenir le lecteur en suspens, qu’ils en avaient joui tous les deux à la fois. Duclos, qui vraisemblablement avait servi de second, était jonchée, morte ivre auprès d’eux, et le reste était l’un sur l’autre, dans un autre coin, vis-à-vis le grand feu qu’on avait eu soin d’entretenir toute la nuit.