Page:Sade - Les crimes de l'amour, Nouvelles héroïques et tragiques, tome 3, 1799.djvu/22

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vissait tes passions quand tu étais dans le monde, use dans les enfers des mêmes alimens pour tes besoins » ; et Rodrigue, l’orgueilleux Rodrigue, révolté sans être ému, se lève et poursuit sa course ; le ruisseau de sang ne le quitte plus, il s’élargit à mesure que le roi avance, et paraît lui servir de guide dans ces déserts affreux. Rodrigue ne tarde pas à voir errer des ombres sur la surface de ce ruisseau… il les reconnaît, ce sont celles de ces infortunées qu’il avait vu en entrant dans la tour. « Ce fleuve est ton ouvrage, lui crie l’une d’entr’elles, Rodrigue, vois-nous flotter sur notre sang même… sur ce sang malheureux répandu par tes mains, pourquoi refuses-tu d’en boire, puisqu’il te rassasiait sur la terre ? Es-tu donc plus délicat ici que sous les lambris dorés de ton palais ? Ne te plains pas, Rodrigue, le spectacle des crimes du tyran est la punition que lui destine l’éternel ». D’énormes serpens s’élançaient du sein de ce fleuve, et venaient ajouter à l’horreur de ces ombres hideuses, voltigeans sur sa surface.