Page:Sagard - Le Grand voyage du pays des Hurons (Avec un dictionnaire de la langue huronne), Librairie Tross, 1865.djvu/45

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De la Rochelle, on prend d’ordinaire vn pilote de louage, pour conduire les nauires qui vont à la riuiere de Suedre, à cause de plusieurs lieux dangereux où il 9|| conuient passer, et est nécessaire que ce soit vn pilote du pays qui conduise en ces endroicts, pour ce qu’vn autre ne s’y oserait hazarder, il arriua neantmoins que ce pilote de la Rochelle pensa nous perdre ; car n’ayant voulu ietter l’anchre par vn temps de bruine, comme on luy conseilloit, se fiant à sa sonde, il nous eschoûa sur les quatre heures du soir, ce fut alors pitié, car on pensoit n’en eschapper iamais : et de faict, si Dieu n’eust calmé le temps, et retenu nostre nauire de se coucher du tout, c’estoit faict du nauire et de tout ce qui estoit dedans. On demeura ainsi iusques enuiron les six ou sept heures du lendemain matin, que la marée nous mit sur pied ; en cet endroict nous n’estions pas à plus d’vn bon quart de lieuë de terre, et nous ne pensions pas estre si proches, autrement on y eust conduit la pluspart de l’équipage auec la chaloupe pendant ce danger, pour descharger d’autant le nauire, et se sauuer tous, au cas qu’il se fust encore tant-soit-peu couché ; car il l’estoit desia tellement, que l’on ne pouuoit plus marcher debout, ains se traisnant et appuyant des mains. Tous estoient fort affligez, et aucun n’eut le courage de boire ny 10|| manger, encore que le souper fust prest et seruy, et les bidons et gamelles des matelots remplis : pour moy i’estois fort debile et eusse volontiers pris quelque chose ; mais la crainte de mal edifier m’empescha et me fit ieusner comme les autres, et demeurer en prière toute la nuict auec mon compagnon, attendant la misericorde et assistance du bon Dieu : nos gens