Page:Sagard - Le Grand voyage du pays des Hurons (Avec un dictionnaire de la langue huronne), Librairie Tross, 1865.djvu/99

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phrase, c’est à dire que pour vn de nos mots, il en falloit vser de plusieurs des leurs : car entr’eux ils ne scauent que c’est de Sanctification, de Regne celeste, du tres-sainct Sacrement, ny d’induire en tentation. Les 89|| mots de Gloire, Trinité, Sainct Esprit, Anges, Resurrection, Paradis, Enfer, Église, Foy, Esperance et Charité, et autres infinis, ne sont pas en vsage chez eux. De sorte qu’il n’y a pas besoin de gens bien sçauants pour le commencement ; mais bien de personnes craignans Dieu, patiens, et pleins de charité : et voilà en quoy il faut principalement exceller pour conuertir ce pauure peuple, et le tirer hors du peché et de son aueuglement.

Ie sortois aussi fort souuent par le Bourg, et les visitois en leurs Cabanes et mesnages, ce qu’ils trouuoient tres-bon, et m’en aymoient dauantage, voyans que ie traictois doucement et affablement auec eux, autrement ils ne m’eussent point veu de bon œil, et m’eussent creu superbe et desdaigneux, ce qui n’eust pas esté le moyen de rien gaigner sur-eux ; mais plustost d’acquerir la disgrace d’vn chacun, et se faire hayr de tous : car à mesme temps qu’vn Estranger a donné à l’vn d’eux quelque petit suiect ou ombrage de mescontentement ou fascherie, il est aussi-tost sceu par toute la ville de l’vn à l’autre : et comme le mal est plustost creu que le bien, ils vous estiment tel pour vn temps, que le 90|| mescontent vous a dépeint.

Nostre bourg estoit de ce costé-là le plus proche voisin des Yroquois, leurs ennemys mortels, c’est pourquoy on m’aduertissoit souuent de me tenir sur mes gardes, de peur de quelque surprise pendant