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LA MARQUISE DU CHÂTELET.

accompagner par M. de Forcalquier et venaient relancer l’auteur de la Henriade dans son logis ; on saccageait ses alexandrins, on mettait en déroute ses notes historiques, et l’on faisait des collations avec son vin de Champagne.

Bientôt recommencent pour Voltaire les inquiétudes, les persécutions. Les Lettres sur les Anglais, qui avaient touché à tant de sujets politiques et philosophiques, offraient assez de prise à ses ennemis pour lui susciter de sérieux embarras. En comparant à chaque instant la société anglaise et la société française, l’auteur avait fait tourner ce parallèle à notre confusion. En vain il avait pris ou cru prendre les précautions nécessaires. Il avait « égorgé la petite bagatelle de l’immortalité de l’âme, pour ne pas heurter de front nos seigneurs les théologiens, gens qui voient si clairement notre spiritualité qu’ils feraient brûler, s’ils pouvaient, les corps de ceux qui en doutent. » Il avait fait tous ses efforts pour « éclaircir Newton et obscurcir Locke. » Les récriminations de toutes sortes n’en pleuvaient pas moins sur l’auteur des Lettres philosophiques. Il avait pour un temps conjuré le danger en s’engageant envers le cardinal de Fleury et le garde des sceaux à ne pas publier ces lettres en France ; mais on en faisait des éditions en Hollande, on en faisait même à Rouen et ailleurs sous la rubrique d’Amsterdam. En vain Voltaire cherchait à dégager sa responsabilité, tonnait contre les libraires ; on le soupçonnait, on l’accusait d’une secrète connivence avec eux, si bien que les Lettres furent enfin condamnées par un arrêt de la grande chambre du parlement et brûlées au pied du grand escalier du palais.

Pendant ces démêlés, Voltaire crut devoir se retirer en lieu sûr. Le marquis du Châtelet, un mari des moins gênants, un vrai mari de la régence, lui offrit un asile en Champagne au