Page:Saint-Amant - Œuvres complètes, Livet, 1855, volume 1.djvu/136

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Je m’efforce à leur dire en voix mal assurée :
Fantosmes (car d’effroy je les prenois pour tels),
Quel plaisir avez-vous à troubler les mortels ?
Quel sujet vous ameine à ces heures nocturnes ?
Qui vous a fait quitter vos manoirs taciturnes ?
Mes badauts, esbahis d’entendre ce propos,
Haut allemant pour eux, jouans au plus dispos,
En chemise et nuds pieds, sans m’user de langage,
Vers le degré prochain troussent viste bagage,
Disent que je suis fou, qu’il y fait dangereux,
Emportent la chandelle et barrent l’huis sur eux,
Si qu’à peine mon œil les put bien reconnestre,
Que comme un tourbillon il les vit disparestre.
La lune, dont la face alors resplendissoit,
De ses rayons aigus une vitre perçoit,
Qui jettoit dans ma chambre, en l’epesseur de l’ombre,
L’éclat frais et serain d’une lumiere sombre,
Que je trouvois affreuse, et qui me faisait voir
Je ne sçay quels objets qui semblaient se mouvoir.
Cette nouvelle erreur, dedans ma teste emprainte,
Me rendant à la fin hardy par trop de crainte,
Je mets flamberge au vent, et, plus prompt qu’un esclair,
J’en fay le moulinet, j’en estocade l’air,
Imitant la valeur du brave dom Quichote,
Quand au fort du sommeil, coiffé de sa marote,
Pensant prendre au collet un horrible geant,
Et dans un tourne-main le reduire au neant,
Il exploita si bien, comme chante l’histoire,
Que sur les cuirs de vin son glaive eut la victoire.
Mais je m’engage trop dans ce plaisant discours,
Muse, je t’en conjure, arrestons-en le cours ;
Reprenons tristement nostre stile funeste,
Et, si cela se peut, disons ce qui nous reste.
Voilà donc, cher Damon, comme passe les nuis
Ton pauvre Clidamant, comblé de mille ennuis,