Page:Saint-Amant - Œuvres complètes, Livet, 1855, volume 1.djvu/139

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Le mocqueur Lucian et le fou Rabelais,
Se metamorphosans par certains tours magiques,
Ne sont remplis pour moy que d’histoires tragiques.
Ovide en l’Art d’aimer m’epouvante à l’abort ;
Amour, avec son dard, y passe pour la Mort ;
Avec son dos ailé, pour un oiseau funeste ;
Avec son mal fievreux, pour une horrible peste,
Et pour une furie avecques son flambeau,
Qui ne sert qu’à guider les hommes au tombeau.
Si, pour me retirer de ces creuses pensées,
Autour de mon cerveau pesamment amassées,
Je m’exerce parfois à trouver sur mon lut
Quelque chant qui m’apporte un espoir de salut,
Mes doigts, suivans l’humeur de mon triste genie,
Font languir les accens, et plaindre l’harmonie ;
Mille tous delicats, lamentables et clairs,
S’en vont à longs souspirs se perdre dans les airs,
Et, tremblans au sortir de la corde animée,
Qui s’est dessous ma main au dueil accoustumée,
Il semble qu’à leur mort, d’une voix de douleur,
Ils chantent en pleurant ma vie et mon malheur.
Si je vay par la ville, aux plus beaux jours de teste,
Le sort, dont la rigueur pend tousjours sur ma teste,
Donnant mesme aux plaisirs de noirs evenemens,
Ne me fait rencontrer partout qu’enterremens,
Que pasles criminels que l’on traisne au supplice ;
Et lors, m’imaginant quelque enorme injustice,
Je m’escrie à l’abord, les sens de peur transis :
Dieux ! seroit-ce point la mon pauvre amy Tirsis ?
Non, non, ce n’est pas luy, ma veue est insensée ;
Vostre gloire en sa mort seroit interessée,
Et l’equité celeste ayme trop l’innocent
Pour le payer si mal des peines qu’il ressent.
Puis, quand il me souvient de l’horrible aventure
Qui mit tout mon bon-heur dedans la sepulture,