Page:Saint-Amant - Œuvres complètes, Livet, 1855, volume 1.djvu/18

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belle prose, « Qui peut voir, s’écrie-t-il, cette belle Solitude, à qui toute la France a donné sa voix, sang estre tenté d’aller resver dans les déserts ! Et si tous ceux qui l’ont admirée s’estoient laissés aller au premier mouvement qu’ils ont eu en la lisant, la solitude même n’auroit-elle pas été détruite par sa propre louange, et ne seroit-elle pas aujourd’huy plus fréquentée que les villes ? » Tel est le style des panégyristes du temps. Il plaisoit fort. Je me garderai bien de le défendre.

On ne se borna pas à imiter ce poème ; j’en sais une traduction en vers latins, qui se trouve dans les Horæ subsesivæ d’Étienne Bachot, célèbre médecin,

Bachot, qui, sans comparaison,
Vaut mieux que la nef enchantée
Où ce grand coquin de Jason,
Quand il eut volé la toison,
Enleva la fille d’Ætée.

(Gomberville.)

Quel étoil donc ce fameux poème de la Solitude qui jouit d’un si grand succès ? C’est la vision fantastique d’un esprit rêveur, d’une imagination exaltée ; un tableau bien noir dans le fond, avec des rochers escarpés, des arbres séculaires, des torrents fougueux, des ruines peuplées de magiques apparitions, de sorciers, de hiboux, de lutins ; la mer est là, mugissant encore après la tempête ; un ruisseau s’y jette ; le temps s’est calmé ; la naïade sort de sa grotte humide ; Philomèle égaie le silence ; le zéphir fait trembler le rameau fleuri de l’aubépine ; sous une grotte fraîche qu’il aperçoit, le poète vient provoquer l’écho par la céleste harmonie de son luth enchanteur, et, l’âme attendrie, donne un souvenir à un ami absent.

Telle est l’idée poétique de l’ode de Saint-Amant. Que de traits gracieux ! que d’idées fraîches ! que de caprices heureux ! Mais pourquoi une forme si peu limpide pour un sujet si poétique ? Saint-Amant, son époque plutôt, qu’il était trop faible pour entraîner, mais qu’il a suivie, ignora trop la science d’asservir les mots à l’idée. La langue n’est souvent alors, au moins dans