Page:Saint-Amant - Œuvres complètes, Livet, 1855, volume 1.djvu/298

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que je ne me sois mis en devoir de les célébrer : qu’on ne m’accuse ny de paresse ny d’ingratitude ; mais, je l’avoue, la splendeur de la matière m’a eblouy ; mon génie s’est deffié de ses forces à l’aspect de tant de miracles, et toutes les fois que j’ay voulu essayer d’en écrire quelque chose, il m’est avenu comme a un certain peintre qui, voulant tirer une excellente beauté, n’eust pas si tost jetté l’œil sur elle pour en ébaucher les premiers traits, que, ravy en la contemplation de ses merveilles et confus de la témérité de son entreprise, le pinceau luy tomba d’une main et les couleurs de l’autre. Aussi, Monseigneur, vos exploits sont si prodigieux, que, par un malheur souhaitable, et dont il n’y a que tous seul au monde qui se puisse plaindre héroïquement, vous y trouverez du desadvantage pour vostre gloire. La grandeur en combat la certitude, le nombre en diminue la foy, et si vous en eussiez moins fait, ou que vous n’eussiez exécuté que des choses possibles, vostre réputation seroit peut-estre plus solidement establic dans la créance des siècles à venir : car, soit


    mesme. Vous fistes sauter vostre cheval par delà la ligne des ennemis huict ou dix pas plus haut. Genereux cheval, qui es digne de porter le nom de celuy dont la memoire dure encore Bucéphale par une ville qui fut bastie (Bucéphalie) pour le rendre immortel ; cheval non seulement de bataille, mais de victoire et de triomphe, qui es superbe de porter un si grand capitaine… ce n’est pas assez que l’on te voye dresser les oreilles, jeter le feu par les yeux et par les nazeaux… si, après toutes ces belles marques de generosité, tu ne nous ramènes sauve et victorieux ton Alexandre… Ces saillies de ma plume ne font pas que je vous perde de vue, Monseigneur. » (P. 31.)