Page:Saint-Amant - Œuvres complètes, Livet, 1855, volume 1.djvu/398

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Faisoit ouïr : Ha ! qu’ils sont doux ensemble !
Que leur vertu s’accorde et se ressemble !
Et l’echo mesme, au grand mot de jambon,
De tous costez redisoit : Bon, bon, bon.
Là les couteaux, brusques à leur office,
S’entr’enviant l’honneur du sacrifice,
Sembloient debatre à qui le toucheroit,
Ou pour mieux dire, à qui le trencheroit ;
Et toutefois, à le voir sous les playes
Que luy faisaient nos mains libres et gayes,
On auroit creu qu’en ces doux accidens
Sa gentillesse eust dit entre les dents :

Chers ennemis, je benis mes blessures,
Je suis heureux d’eprouver vos morsures,
Puis que le sort m’ordonne noblement
De vous servir d’agreable aliment ;
Ma chair de beste en chair d’homme changée
Sera tantost à vos dents obligée.
Poursuivez donc et ne m’epargnez pas :
En vos fureurs je trouve des appas.
J’ose vous faire une seule demande :
C’est qu’un de vous, d’une plume gourmande,
Et d’une estime à qui l’on preste foy,
En quelque lieu daigne parler de moy,
Afin, au moins, que n’estant plus en estre,
Par son caquet on me puisse connestre,
Non point, Messieurs, non point comme un morceau
Qui soit venu d’un vulgaire pourceau,
Mais, pour certain, comme l’enorme fesse
D’un grand sanglier[1] que Diane confesse

  1. Ce mot est maintenant de trois syllabes. Voy., au sujet des mots comme bouclier, sanglier, etc., devenus trissyllabes, l’excellent Traité de versific. franç. de Quicherat.