Page:Saint-Amant - Œuvres complètes, Livet, 1855, volume 1.djvu/427

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Turc de vostre courage, de vostre conduite et de vostre longue experience au mestier de la guerre, l’empescherent d’assieger cette isle-là, et possible de reduire sous le joug ce ferme et noble rempart de la chrestienté : de sorte que l’on peut dire, par une reflexion agreable, que vostre propre reputation s’opposa en quelque maniere à elle-même, et que la grandeur de vos actions passées vous interdit alors la grandeur de vos actions a venir. Permettez-moy, s’il vous plaist, Monseigneur, que je vous die, sur ce propos, combien je vous suis redevable en mon particulier de cette genereuse entreprise[1], et, pour parler en poete, souffrez que je mesle ici quelques uns de mes cyprès parmy vos lauriers.

Je n’avais que deux freres, que les armes des Mahometans m’ont ravy : le premier[2] fut tué en un furieux combat qui se donna a l’embouchure de la mer Rouge, entre un vaisseau malabare qui revenait de la Meque et un vaisseau françois qui s’en allait aux Indes orientales, sur lequel, tous deux poussez de la belle curiosité de voir le monde et de l’honorable ambition d’acquerir de la gloire, ils s’estoient embarquez ensemble au sortir des estudes. Le second[3], après avoir receu cinq ou six playes en ce combat, dans le navire ennemy qu’ils avaient abordé ; après avoir fait tout ce qu’un genereux desespoir, ou, pour mieux dire,

Tout ce que la fureur, mesprisant tout obstacle,
Inspire au sein d’un frère irrité du spectacle.

après avoir esté renversé d’un coup de pique dans la mer ; après s’estre sauvé plus d’une lieue a la nage, tout blessé qu’il


    par des forces turques considérables. Son heureuse intervention lui valut, de la part du grand-maître, Jean-Paul Lascsris, le privilége pour lui et ses descendants de porter sur le tout de leurs armes celles de l’ordre, avec l’écu posé sur la croix octogone, les extrémités saillantes. Un de ses fils, à son choix, devenait chevalier en naissant, et prenait le titre de grand’croix à l’âge de seize ans.

  1. Les contemporains n’ont pas été sans voir ici un peu d’outrecuidance de la part de Saint-Amant. — Tallement le trouve « fier à un point étrange, qui se loue jusqu’à faire mal au cœur. »
  2. Ce premier frère de Saint-Amant nous est inconnu.
  3. Ce cadet de Saint Amant paroit avoir été le sieur de Montigny, qui commandoit « la Licorne » dans l’escadre du comte d’Harcourt.