Page:Saint-Bernard - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome 2, 1866.djvu/316

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sa main, dans le corps et dans l’âme en même temps. Ce n’est point par les résultats mais par les sentiments du cœur qu’un chrétien juge du péril qu’il a couru dans une guerre ou de la victoire qu’il y a remportée, car si la cause qu’il défend est bonne, l’issue de la guerre, quelle qu’elle soit, ne saurait être mauvaise, de même que, en fin de compte, la victoire ne saurait être bonne quand la cause de la guerre ne l’est point et que l’intention de ceux qui la font n’est pas droite. Si vous avez l’intention de donner la mort, et qu’il arrive que ce soit vous qui la receviez, vous n’en êtes pas moins un homicide, même en mourant ; si, au contraire, vous échappez à la mort, après avoir tué un ennemi que vous attaquiez avec la pensée ou de le subjuguer ou de tirer quelque vengeance de lui, vous survivez sans doute, mais vous êtes un homicide : or il n’est pas bon d’être homicide, qu’on soit vainqueur ou vaincu, mort ou vif, c’est toujours une triste victoire que celle où on ne triomphe de son semblable qu’en étant vaincu par le péché, et c’est en vain qu’on se glorifie de la victoire qu’on a remportée sur un ennemi, si on en a laissé remporter une aussi sur soi à la colère ou à l’orgueil. Il y a des personnes qui ne tuent ni dans un esprit de vengeance ni pour se donner le vain orgueil de la victoire, mais uniquement pour échapper eux-mêmes à la mort : eh bien ! je ne puis dire que cette victoire soit bonne, attendu que la mort du corps est moins terrible que celle de l’âme ; en effet celle-ci ne meurt point du même coup qui tue le corps, mais elle est frappée à mort dès qu’elle est coupable de péché.


CHAPITRE II
De la milice séculière

3. Quels seront donc le fruit et l’issue, je ne dis pas de la milice, mais de la malice, séculière, si celui qui tue pèche mortellement et celui qui est tué périt éternellement ? Car, pour me servir des propres paroles de l’Apôtre : « Celui qui laboure la terre doit labourer dans l’espérance d’en tirer du fruit, et celui qui bat le grain doit espérer d’en avoir sa part » (1 Co IX, 10). Combien étrange n’est donc point votre erreur, ou plutôt quelle n’est pas votre insupportable fureur, ô soldats du siècle, de faire la guerre avec tant de peine et de frais, pour n’en être payés que par la mort ou par le péché ? Vous chargez vos chevaux de housses de soie, vous recouvrez vos cuirasses de je ne sais combien de morceaux d’étoffe qui retombent de tous côtés ; vous peignez vos haches, vos boucliers et vos selles ; vous prodiguez l’or, l’argent et les pierreries sur vos mors et vos éperons, et vous volez à la mort, dans ce pompeux appareil, avec une impudente et honteuse fureur. Sont-ce là les insignes de l’état militaire ? Ne sont-ce pas plutôt des ornements qui