Page:Saint-Bernard - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome 2, 1866.djvu/330

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conserve ". Mais, reprenez-vous, la concupiscence de la chair montre assez que nous sommes nés de la chair, et le péché que nous sentons dans la chair prouve jusqu’à l’évidence que selon la chair nous descendons d’un pécheur. Cela n’empêche pas que leur génération spirituelle ne soit sentie, sinon dans la chair, du moins dans le cœur, par ceux qui peuvent dire avec saint Paul : " Pour nous, nous avons l’esprit de Jésus-Christ " (1 Co II, 16), dans lequel ils ont fait tant de progrès qu’ils peuvent ajouter en toute confiance : " L’Esprit de Dieu même rend témoignage à notre esprit que nous sommes ses enfants " (Rm VIII, 16) et encore : " Nous n’avons point reçu l’esprit du monde, mais l’Esprit de Dieu, afin que nous connaissions les dons que Dieu nous a faits " (1 Co II, 12). L’Esprit de Dieu a donc répandu la charité dans nos cœurs, de même que notre origine charnelle d’Adam a fait couler la concupiscence dans nos membres, et de même que celle-ci, qui a sa source dans le père de nos corps, se retrouve en toute chair mortelle en cette vie ; ainsi celle-là, qui vient du Père des esprits, n’est jamais absente du cœur des enfants parfaits de Dieu.

25. Mais si nous sommes nés de Dieu et choisis en Jésus-Christ, où serait la justice que notre origine humaine et terrestre l’emportât sur notre origine céleste et divine, que notre héritage charnel prévalût sur l’élection de Dieu, et que la concupiscence de la chair, qui nous vient d’une source temporelle, prescrivît contre ses éternels desseins ? Ou plutôt, si la mort a pu venir jusqu’à nous par le fait d’un homme, pourquoi la vie n’y viendrait-elle pas à plus forte raison également par un homme, et surtout par un tel homme ? Pourquoi enfin, si nous mourons tous en Adam, ne serions-nous pas plus sûrement vivifiés en Jésus-Christ ? " Enfin, s’il n’en est pas de la grâce de Dieu comme du mal arrivé par un seul homme qui a péché, car nous avons été condamnés au jugement de Dieu pour un seul péché, au lieu que nous sommes justifiés, par la grâce de Jésus-Christ, après plusieurs péchés " (Rm V, 15). Le Christ a donc pu nous remettre nos péchés parce qu’il est Dieu ; mourir, puisqu’il est homme, et payer, en mourant, notre dette à la mort, parce qu’il est juste. Et, d’un autre côté, la vie et la justice d’un seul ont pu suffire à tout par la même raison que le péché et la mort ont pu passer d’un seul homme dans tous les hommes.

26. Mais ce n’est pas sans nécessité que l’Homme-Dieu retarda sa mort et vécut pendant quelque temps parmi les hommes ; c’était pour les exciter aux choses invisibles par de nombreux entretiens où il leur faisait entendre les paroles de la vérité, pour établir la foi dans leur âme par la vue de ses œuvres merveilleuses et pour les former à la vertu, par l’exemple de sa conduite. L’Homme-Dieu a donc mené sous nos yeux une vie de tempérance, de justice et de piété, enseigné la vérité, opéré des merveilles, souffert des tourments qu’il n’avait pas mérités, aussi que nous a-t-il manqué pour le salut de ce côté ? Si à cela s’ajoute la rémission de nos péchés, je veux dire une rémission gratuite, il est évident que l’œuvre de notre salut est complète. Il n’y a pas à craindre que pour remettre ainsi nos péchés la puissance ou la volonté manquent à Dieu et surtout à un Dieu qui a souffert et tant souffert pour les pécheurs, pourvu qu’il nous trouve disposés