Page:Saint-Just - Œuvres complètes, éd. Vellay, I, 1908.djvu/139

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À ses sanglots, sa paupière se rouvre,
Et le trépas d’un nuage la couvre.
Elle l’appelle, il n’entend plus sa voix ;
Elle baignait de ses naïves larmes
Ce corps chéri, ce corps si plein de charmes.
« Quoi ! tu n’es plus ? disait-elle parfois ;
« Quoi ! je vivrai sans toi, mon tendre Page !
« Mais le trépas a glacé ce visage ;
« C’en est donc fait ! » À ces funestes mots.
Désespérée, au travers la campagne,
Bientôt du Rhin le rivage elle gagne,
Pour y noyer sa douleur dans les flots.
Tous les rochers de cette triste plage
Se renvoyaient : Ô douleur ! ô mon Page !
Un vieux Pasteur des vallons d’alentour
Avait mené ses troupeaux sur la rive ;
Aux cris touchans de la Reine plaintive,
Il accourut, inspiré par l’Amour :
Il la surprend, éperdue, interdite,
Dans le moment qu’elle se précipite.
« Que faites-vous ? » lui dit-il en courant.
— Je veux mourir, et suivre mon amant. »
Ce bon vieillard, en pleurant avec elle,
Crut adoucir sa détresse mortelle.
« Tu n’as jamais aimé, lui disait-elle,
« Levant les yeux et poussant un soupir ;
« Car ta pitié m’aurait laissé mourir.
« Mon Page est mort, et tu veux que je vive !
« Ne faut-il pas que mon âme le suive ?
« Un amant cher peut-il être oublié ?
« Un cœur peut-il vivre sans sa moitié ?
« Comment veux-tu, mon père, qu’il soutienne
« De son bonheur le triste souvenir ?
« Comment veux-tu qu’il regarde sans peine
« L’espoir trompé d’un si tendre avenir,
« L’affreux tableau d’un bonheur qui m’échappe,
« Mon amant mort, et le coup qui le frappe ;
« Ce sein percé, ce sein jadis charmant,