Aller au contenu

Page:Saint-Just - Œuvres complètes, éd. Vellay, I, 1908.djvu/198

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il naît et meurt ; et mort, on le méprise.
De son destin orgueilleux, on le voi
Fouler la terre en pays de conquête,
Que la raison a soumis à sa loi ;
Il n’est au plus que la première bête
De ce séjour dont il se dit le Roi.
Maître du monde, esclave de lui-même,
II creuse tout, et ne sait ce qu’il est ;
Son cœur, pétri d’orgueil et d’intérêt.
Craint ce qu’il hait, méprise ce qu’il aime.
Impudemment il appelle vertu
Le crime sourd d’un sophisme vêtu.
Son amour-propre inventa l’apparence ;
L’intérêt vil lui donna la prudence,
Et sa raison n’est qu’un noir composé
D’orgueil adroit, d’orgueil intéressé.
L’or animé dans ses veines palpite ;
L’or est son cœur ; c’est le Dieu qui l’agite ;
Sa voix le traîne au travers des dangers,
Pour s’engraisser sur des bords étrangers.
L’or inventa les Arts, l’Astronomie,
Et l’Avarice est mère du Génie.
Si-tôt que l’aube a la terre blanchie,
Et que les coqs assez mal à propos,
De leurs clairons ébranlent mes rideaux,
J’entends déjà qu’on galope, qu’on crie :
Le bruit naissant des chars et des chevaux
Vient ébranler ma cervelle engourdie,
Et m’arracher d’un aimable repos.
Où s’en va l’un crotté jusqu’à mi-jambe ?
Il court, fend l’air, frotte ses mains, enjambe ;
L’autre de noir endossant son orgueil,
Le fer au cu, d’an Grand baise le seuil.
Ce Baron court à la Force en calèche ;
Arrive après Madame de Pimbèche,
Au cu bombant, au cuir tanné de fard ;
De noirs chiffons sur sa nuque serpentent,
Dix-huit procès dans sa tête fermentent ;