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Page:Saint-Lambert - Les Saisons, 1769.djvu/105

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Où le marbre ébranlé se détachant des monts
Tombe, roule, & bondit dans vos flots vagabonds ;
Plus paisibles enfin, dans une plaine immense
Vous portez la fraîcheur, la vie & l’abondance.
Des nuages légers, dans l’air moins élevés,
Vont heurter des côteaux les sommets cultivés ;
Ils traversent le sable, & le limon fertile,
Ils percent les rochers, s’arrêtent sur l’argile ;
Et s’échappant de l’antre où distilloient leurs eaux,
Ces vapeurs vont former les sources des ruisseaux ;
Ils serpentent d’abord sur des plaines fécondes ;
Ils vont confondre au loin leur murmure & leurs ondes ;
S’ouvrir en s’unissant un plus vaste canal ;
Et rouler sur l’arène un tranquille crystal.
Ainsi, du sein des mers, une mer de nuages
S’exhale, se répand & part de leurs rivages ;
Du liquide fécond pénètre l’univers,
Et par mille canaux retourne au sein des mers.
Ces voiles suspendus qui cachent à la terre
L’azur qui la couronne, & l’astre qui l’éclaire,
Ces ombres, ces vapeurs, qui couvrent nos climats,
Préparent les mortels au retour des frimats ;
La nature, à grands pas, marche à sa décadence,
Et du feu qui l’anime, elle a senti l’absence.
Mais la feuille, en tombant du pampre dépouillé,
Découvre le raisin de rubis émaillé ;
De l’ambre le plus pur la treille est colorée ;
Les celliers sont ouverts, la cuve est réparée.
Boisson digne des dieux, jus brillant & vermeil,
Doux extrait de la sève, & des feux du soleil,
Source de nos plaisirs, délices de la terre,
Viens combattre l’ennui qui nous livre la guerre ;
Dissipe notre esprit qui pensoit tristement,
Et donne-nous du moins le bonheur d’un moment.
Déja près de la vigne un grand peuple s’avance ;
Il s’y déploie en ordre, & le travail commence ;
Le vieillard que conduit l’espoir du vin nouveau
Arrive le premier au penchant du côteau ;