Page:Saint-Lambert - Les Saisons, 1769.djvu/107

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Dans leurs yeux entr’ouverts, brillent d’humides flammes ;
Ils font de vains efforts pour épancher leurs ames,
Et pleins des sentiments qu’ils voudroient exprimer,
Tous deux, en begayant, se jurent de s’aimer.
Alain, jusqu’à ce jour, amant tendre & timide
Puise dans le nectar une audace intrépide ;
Alison qu’il poursuit lui résiste en fuyant ;
Elle hésite, s’arrête, & tombe en souriant.
Grégoire, à Mathurine alloit porter son verre,
Sous ses pas incertains il sent trembler la terre ;
Il a vu les lambris & le toît s’ébranler ;
La table qu’il embrasse est prête à s’écrouler ;
Il tombe, il la renverse, & la cruche brisée
Se divise en éclats sur la terre arrosée.
On se leve en tumulte, on part, & les buveurs
Font retentir au loin leurs chants & leurs clameurs.
Ils n’ont point entendu le démon des tempêtes ;
Il vient de l’occident, il vole sur leurs têtes,
Il passe en rugissant de vallons en vallons ;
Tranquille en ce moment au bruit des aquilons,
Le sage laboureur ne craint plus leurs ravages ;
Il a mis ses trésors à couvert des orages ;
Des gerbes de Cérès il chargea ses greniers ;
Les tonneaux de Bacchus vont remplir ses celliers ;
Il a fait plus : déja la glebe retournée
Cache sous le sillon l’espoir de l’autre année,
Et même sur les champs épuisés par leurs dons
Il a conduit l’engrais qui les rendra féconds.
Apprenez, ô mortels, qu’un sol pauvre & stérile
Devient en un moment, un sol riche & fertile,
Il est, il est un art de choisir les engrais,
Qu’au vertueux Towsend a révélé Cérès.
Triptolème nouveau, je viens te rendre hommage,
Le bien qu’on fait au monde ajoute à mon partage ;
Ami du bienfaiteur, sans pouvoir l’imiter,
J’aspire à ses vertus, & j’aime à les chanter.