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USAGE DU FANTÔME DE CABALE


ment sur la liste de ses proscriptions. Le duc de Berwick et moi n’y étions pas moins. L’Anglois avoit trop acquis sur le régent par le sacrifice si plein et si prompt qu’il lui avoit fait de tout ce qu’il devoit au roi d’Espagne ; et, pour ce qui me regardoit, mes anciennes, intimes et continuelles liaisons d’affaire et d’amitié dans les temps les plus critiques, du plus entier abandon, et les plus éloignées de toute apparence d’utilité pour moi, même de plus qu’apparences les plus contraires, me rendoient d’autant plus odieux à ce solipse [1], que M. le duc d’Orléans ne pouvoit oublier que mes conseils ne lui avoient pas été inutiles dans toutes les différentes situations de sa vie, et que Dubois avoit souvent éprouvé ma hardiesse et ma liberté. D’essayer de faire peur de Berwick et de moi à M. le duc d’Orléans, il le sentoit impraticable.

Pour se défaire de Berwick, il lui destinoit l’ambassade d’Espagne. C’étoit pour cela que j’avois reçu des ordres si précis et si réitérés de ne rien oublier pour lui réconcilier Leurs Majestés Catholiques. On verra que le mauvais succès que j’y eus ne le rebuta pas. Pour moi, j’ignore comment il avoit projeté de s’y prendre. On verra aussi comment je le servis sur les deux toits, en voyant avec indignation le

  1. Le mot solipse désignait des ambitieux et des égoïstes. L’esprit de parti a appliqué le nom de solipses aux jésuites. Ant. Arnauld indique nettement le sens de ce mot dans sa Morale pratique (t. III, p. 86) : « On sait que c’est votre caractère (il parle aux jésuites) de vous porter avec ardeur à faire le bien, pourvu que vous le fassiez seuls ; et, si vous voulez être sincères, vous avouerez que l’un de vos pères, auteur du livre intitulé Monarchia solipsorum, vous connaissoit bien. » L’auteur de ce livre est, selon quelques critiques, le P. Gasp. Schopp (Scioppius), ou, selon d’autres, le P. Inchoffer. Bayle, à l’article Inchoffer (remarque C), lui attribue positivement cet ouvrage. Il ajoute qu’il courut une prétendue lettre d’Innocent XII à l’empereur, l’an 1696, dans laquelle le pape nomme la société des jésuites monarchiam Monopantorum. Sur quoi le P. Papebroch a fait cette réflexion : « Forsitan quasi μόνοι πάντα (soli omnia) velint esse et æstimari jesuitæ, scilicet alludendo ad scomma satirici cujusdam commenti, quo scripsit anonymus aliquis Monarchiam solipsorum, veluti innuere volens quod societas soli sibi arrogare nitatur omnia. »