Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 3.djvu/169

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plus haut l’étrange mariage, entra dans ce cabinet, où considérant attentivement ce pauvre prince qui palpitoit encore : « Pardi, s’écria-t-elle dans la profondeur de ses réflexions, voilà une fille bien mariée ! — Voilà qui est bien important aujourd’hui, lui répondit Châtillon qui perdoit tout lui-même, que votre fille soit bien ou mal mariée !  » Madame étoit cependant dans son cabinet qui n’avoit jamais eu ni grande affection ni grande estime pour Monsieur, mais qui sentoit sa perte et sa chute, et qui s’écrioit dans sa douleur de toute sa force : « Point de couvent ! qu’on ne me parle point de couvent ! je ne veux point de couvent. » La bonne princesse n’avoit pas perdu le jugement ; elle savoit que, par son contrat de mariage, elle devoit opter, devenant veuve, un couvent, ou l’habitation du château de Montargis. Soit qu’elle crût sortir plus aisément de l’un que de l’autre, soit que sentant combien elle avoit à craindre du roi, quoiqu’elle ne sût pas encore tout, et qu’il lui eût fait les amitiés ordinaires en pareille occasion, elle eut encore plus de peur du couvent. Monsieur étant expiré, elle monta en carrosse avec ses dames, et s’en alla à Versailles suivie de M. et de Mme la duchesse de Chartres, et de toutes les personnes qui étoient à eux.

Le lendemain matin, vendredi, M. de Chartres vint chez le roi, qui était encore au lit et qui lui parla avec beaucoup d’amitié. Il lui dit qu’il falloit désormais qu’il le regardât comme son père ; qu’il auroit soin de sa grandeur et de ses intérêts ; qu’il oublioit tous les petits sujets de chagrin qu’il avoit eus contre lui ; qu’il espéroit que de son côté il les oublieroit aussi ; qu’il le prioit que les avances d’amitié qu’il lui faisoit servissent à l’attacher plus à lui, et à lui redonner son cœur comme il lui redonnoit le sien. On peut juger si M. de Chartres sut bien répondre.

Après un si affreux spectacle, tant de larmes et tant de tendresse, personne ne douta que les trois jours qui restoient du voyage de Marly ne fussent extrêmement tristes ;