Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 3.djvu/214

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

produisit des pièces qui mirent Matignon au moment d’être condamné à lui payer un million deux cent mille livres, malgré tout son crédit dans la province, soutenu de celui de Chamillart. Ce procès dura longtemps, et ce va-nu-pieds avoit tant d’argent et de recommandations qu’il vouloit de tous les dévots et dévotes, à force de crier à l’oppression ; à la fin, les pièces furent reconnues fausses, il avoua tout et fut pendu.

Vaudemont, fut satisfoit d’avoir le maréchal de Villeroy en Italie, ce fut un nouveau crève-cœur pour Tessé, d’autant plus grand qu’il n’espéra plus de bricoles pour arriver au commandement de l’armée, et qu’il n’y avoit pas moyen de se jouer à ce nouveau général comme avec Catinat, avec lequel ses démêlés devinrent scandaleux à l’armée, et firent ici beaucoup de bruit. Il n’y eut souplesses qu’il ne fit à Villeroy pour le mettre de son côté. Catinat reçut cette mortification en philosophe, et fit admirer sa modération et sa vertu. La tranquillité avec laquelle il remit le commandement au maréchal de Villeroy, et la conduite qu’il tint après à l’armée la lui ramena. On s’y souvint enfin des lauriers qu’il avoit cueillis en Italie. On n’en trouvoit aucuns chez Villeroy. Les manèges, l’ingratitude, le succès de Tessé révoltèrent. Mais ce fut tout. Tessé, venu seul avec son fils et un aide de camp au secours de Saint-Frémont, à Carpi, au lieu de se faire suivre par tout son quartier, ou du moins de l’envoyer chercher après avoir vu de quoi il étoit question, fut fort accusé d’avoir voulu laisser rompre le cou à Saint-Frémont, et donne lieu à un passage des Impériaux au milieu de tous les postes de l’armée, qui, pour garder inutilement un trop grand pays, étoient trop nombreux, se pouvoient trop peu entre-secourir ; et dispersoient trop l’armée. C’est ce dont Tessé se plaignoit aux dépens de Catinat, comme si Vaudemont n’en eût pas été de moitié ; mais ces plaintes et les souterrains de Tessé firent tant d’effet à Paris et à la cour, que personne n’osoit défendre Catinat, et que