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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 3.djvu/225

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Mme des Ursins, avec qui la connoissance ne pouvoit pas être encore bien faite depuis le bord de la mer où elle l’avoit rencontrée. En arrivant à Figuères, le roi, impatient de la voir, alla à cheval au-devant d’elle et revint de même à sa portière, où, dans ce premier embarras, Mme des Ursins leur fut d’un grand secours, quoique tout à fait inconnue au roi, et fort peu connue encore de la reine.

En arrivant à Figuères, l’évêque diocésain les maria de nouveau avec peu de cérémonie, et bientôt après ils se mirent à table pour souper, servis par la princesse des Ursins et par les dames du palais, moitié de mets à l’espagnole, moitié à la française. Ce manège déplut à ces dames et à plusieurs seigneurs espagnols, avec qui elles avoient comploté de le marquer avec éclat ; en effet, il fut scandaleux. Sous un prétexte ou un autre, de la pesanteur ou de la chaleur des plats, ou du peu d’adresse avec laquelle ils étoient présentés aux dames, aucun plat François ne put arriver sur la table, et tous furent renversés, au contraire des mets espagnols, qui y furent tous servis sans malencontre. L’affectation et l’air chagrin, pour ne rien dire de plus, des dames du palais étoient trop visibles pour n’être pas aperçus. Le roi et la reine eurent la sagesse de n’en faire aucun semblant, et Mme des Ursins, fort étonnée, ne dit pas un mot.

Après un long et fâcheux repas, le roi et la reine se retirèrent. Alors ce qui avoit été retenu pendant le souper débanda. La reine se mit à pleurer ses Piémontaises. Comme un enfant qu’elle étoit, elle se crut perdue entre les mains de dames si insolentes, et quand il fut question de se coucher, elle dit tout net qu’elle n’en feroit rien et qu’elle vouloit s’en retourner. On lui dit ce qu’on put pour la remettre, mais l’étonnement et l’embarras furent grands quand on vit qu’on n’en pouvoit venir à bout. Le roi déshabillé attendoit toujours. Enfin la princesse des Ursins, à bout de raisons et d’éloquence, fut obligée d’aller avouer au roi et à Marsin