Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 3.djvu/339

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pouvoit le plus espérer, et par cet applaudissement qui en entraînoit d’autres de se faire compter dans le grand monde. Il paraissoit vouloir avoir des amis, et il en trompa longtemps. C’étoit un cireur corrompu à fond, une âme de boue, un impie de bel air et de profession ; pour tout dire, le plus solidement ruai honnête homme qui ait paru de longtemps.

Il étoit veuf sans enfants de la fille de Châteauneuf et sœur de La Vrillière, secrétaire d’État, avec qui il avoit très mal vécu sans aucune cause, et avec un parfoit mépris. Ne sachant où se reprendre dans un accès d’ambition, il imagina que Chamillart seroit en état de tout faire pour lui en épousant sa seconde fille, Dreux, mari de l’aînée, ne pouvant par le peu qu’il étoit lui faire ombrage. Il le fit proposer à ce ministre, qui s’en trouva d’autant plus flatté que sa fille étoit cruellement vilaine. Chamillart en parla au roi, qui l’arrêta tout court. « Vous ne connoissez pas La Feuillade, lui dit-il ; il ne veut votre fille que pour vous tourmenter pour que vous me tourmentiez pour lui ; or, je vous déclare que jamais je ne ferai rien pour lui, et vous me ferez plaisir de n’y plus penser. » Chamillart se tut tout court, et demeura fort affligé. La Feuillade ne se rebuta point : plus il se vit sans ressource, plus il sentit que ce mariage seul lui en seroit une unique, et plus il lit presser Chamillart. On ne comprend pas aisément comment, après un tel refus, il osa quelque temps après retourner à la charge, et beaucoup moins comment le roi se rendit à ses instances, à qui l’a connu. Il donna cieux cent mille livres à Chamillart, comme il faisoit à ses ministres, pour ce mariage. Chamillart y en ajouta cent [mille] du sien, et le mariage fut conclu. La Feuillade fut mal reçu du roi, lorsque, la permission accordée à Chamillart, il lui en parla. Les noces se firent. La Feuillade vécut encore plus mal, s’il est possible, avec cette seconde femme qu’avec la première, et dès les commencements ; mais il avoit jeté un charme sur Chamillart à qui il