Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 3.djvu/347

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Ne sachant que devenir, il s’en va en Turquie, et pour le faire court se fait circoncire, prend le turban, s’engage dans la milice. Son reniement l’avance, son esprit et sa valeur le distinguent, il devient hacha, et l’homme de confiance en Morée, où les Turcs faisoient la guerre aux Vénitiens. Il leur prit des places, et se conduisit si bien avec les Turcs, qu’il se crut en état de tirer parti de sa situation, dans laquelle il ne pouvoit se trouver à son aise. Il eut des moyens de faire parler au généralissime de la république, et de faire son marché avec lui. Il promit verbalement de livrer plusieurs places et force secrets des Turcs, moyennant qu’on lui rapportât, en toutes les meilleures formes, l’absolution du pape de tous les méfaits de sa vie, de ses meurtres, de son apostasie, sûreté entière contre les chartreux, et de ne pouvoir être remis dans aucun autre ordre, restitué plénièrement au siècle avec les droits de ceux qui n’en sont jamais sortis, et pleinement à l’exercice de son ordre de prêtrise, et pouvoir de posséder tous bénéfices quelconques. Les Vénitiens y trouvèrent trop bien leur compte pour s’y épargner, et le pape crut l’intérêt de l’Église assez grand à favoriser les chrétiens contre les Turcs ; il accorda de bonne grâce toutes les demandes du bacha. Quand il fut bien assuré que toutes les expéditions en étoient arrivées au généralissime en la meilleure forme, il prit si bien ses mesures qu’il exécuta parfaitement tout ce à quoi il s’étoit engagé envers les Vénitiens. Aussitôt après, il se jeta dans leur armée, puis sur un de leurs vaisseaux qui le porta en Italie. Il fut à Rome, le pape le reçut bien ; et pleinement assuré, il s’en revint en Franche-Comté dans sa famille, et se plaisoit à morguer les chartreux.

Des événements si singuliers le firent connoître à la première conquête de la Franche-Comté. On le jugea homme de main et d’intrigue ; il en lia directement avec la reine mère, puis avec les ministres, qui s’en servirent utilement à la seconde conquête de cette même province. Il y servit