Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 3.djvu/393

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ornoient. Ils s’appliquèrent donc à élaguer, à affaiblir, à voiler tout ce qu’ils purent pour n’obscurcir pas leur héros par une comparaison qui se faisoit d’elle-même. Ce travail leur fut ingrat ; ils s’aperçurent enfin que ce n’étoit pas moi qu’ils avoient à corriger, mais la chose même dont le lustre naissant de soi-même ne se pouvoit éteindre que par la suppression ; ils sentirent le mensonge de cette sorte de correction ; que, taisant certains faits, certaines vérités, ils ne pouvoient les omettre toutes, et toutes à leurs yeux étoient de nature à offusquer leur sujet.

Cet embarras, grossi de l’esprit dominant de l’adulation, les détermina enfin à donner leur ouvrage avec la médaille sèche de Louis XIII en tête, sans parler de ce prince qu’en deux mots et uniquement pour marquer que sa mort fit place à son fils sur le trône. Les réflexions sur ce genre d’iniquité mèneroient trop loin. Elle ne fut pas étendue à mon égard ; je demeurai sous le silence qui m’avoit été promis.

Chamillart faisoit affaires sur affaires : il falloit fournir aux dépenses immenses des armées. Vendôme, conduit par M. du Maine, qui l’étoit luimême par Mme de Maintenon, envoyoit continuellement des courriers pour vanter sa vigilance, ses projets, et surtout pour grossir les bagatelles que le voisinage des quartiers ennemis produisoit assez souvent, et toujours fort légèrement avec les nôtres. Le comte d’Estrées, revenu de Naples à Toulon, vint faire un tour de huit jours à Paris. Il reçut les ordres du roi pour aller prendre le roi d’Espagne à Barcelone, et le conduire à Naples, revenir incontinent après à Toulon, où le comte de Toulouse devoit se rendre pour aller à la mer et faire pour la première fois sa charge d’amiral. Cette déclaration, qui pourtant n’étoit qu’une suite de sa charge, et qui n’avoit rien de commun avec la terre, ne laissa pas d’être un renouvellement de douleur pour M. le duc d’Orléans et les deux princes du sang. En même temps, le maréchal de Boufflers fut choisi pour commander l’armée de Flandre