Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 3.djvu/444

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homme, incorruptible et attaché au roi d’Espagne de même que l’ombre l’est au corps. Il est à naître qu’il ait reçu des grâces, et sa persécution est extrême, parce que l’on a imaginé que sa femme, qui n’y a jamais songé, aspiroit à être camarera-mayor. L’on jugera aisément de l’effet que cela produit.

« San-Estevan est un petit finesseux, plein de souterrains, et attendant le parti le plus fort pour s’y déterminer et s’y joindre [1].

« Benavente est un homme plein d’honneur, ennemi de cabale et d’intrigue, ne connoissant que son devoir et son maître [2].

« L’Infantado est un jeune homme qui ne se mêle de rien. L’on peut dire de lui qu’il n’est ni chair ni poisson, et je suis très persuadé qu’il n’a jamais mérité les bottes qu’on lui a données. Il ne veut que la paix et le repos, et n’est pas capable d’autre chose.

« Villafranca est un des Espagnols les plus vertueux qu’il y ait ici [3]. Il est vrai en tout, plein de zèle et de fidélité pour le roi son maître. Personne ne désire plus ardemment que lui, ni avec plus de sagesse, que l’entier gouvernement de cette monarchie passe promptement des mains où il est, en celles du roi, et que rien ne se décide que par sa volonté absolue. C’est là le bon sens ; tout le reste n’étant que plâtrage et ne conduisant qu’à perdition.

« Lémos est une bête brute, tout à fait incapable de l’emploi qu’il exerce, et que la faveur de sa femme auprès de Mme des Ursins lui a fait obtenir [4].

« Rivas est capable d’un grand travail. Il a des talents, de l’esprit et de l’intelligence, beaucoup de facilité pour les affaires, de la pénétration et une mémoire étonnante. Avec ces dispositions, il semble qu’il pourroit servir très utilement ; mais les qualités de son cœur entraînent peut-être malgré lui celles de son esprit. Il est né fourbe, et ne sait ce que c’est que de se conduire en rien avec droiture ; il dorme des paroles, mais il ne fait pas profession de les garder, et quand la chose doit servir à ses intérêts, il ne se fait pas scrupule de nier qu’il les ait données. Il est fort intéressé, et l’intérêt du roi et celui de l’État ne peuvent jamais entrer en considération avec le sien. Uniquement occupé de son élévation et de son opulence, il perd aisément de vue les intérêts de son maître. Ce qui a fait que, dans bien des rencontres, il a paru travailler contre lui ; et, tout compté, comme le mauvais qui est en sa personne est bien plus dangereux que son bon ne peut être utile, je conclus par décider que gens de son caractère ne peuvent jamais être mis en place.

« Voilà le caractère fidèle des principaux personnages qui composent cette cour, que j’ai connus à fond et fort pratiqués. »

  1. Voy., p. 5 de ce volume.
  2. Ibid., p. 7.
  3. Ibid., p. 6.
  4. Ibid., p. 90, sur la maison de Lémos.