Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 3.djvu/90

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tout le monde, jusque-là que les Espagnols s’en formalisèrent et en parlèrent au duc d’Harcourt, qui leur répondit que, pour toutes les choses essentielles, le roi se conformeroit à tous les usages, mais que dans les autres il falloit lui laisser la civilité Française. On ne sauroit croire combien ces bagatelles d’attention extérieure attachèrent les cœurs à ce prince.

Le cardinal Portocarrero étoit transporté de contentement ; il regardoit cet événement comme son ouvrage et le fondement durable de sa grandeur et de sa puissance. Il en jouissoit en plein. Harcourt et lui, sentant en habiles gens le besoin réciproque qu’ils auroient l’un de l’autre, s’étoient intimement liés, et leur union s’étoit encore cimentée pendant le voyage par l’exil de la reine à Tolède, que le cardinal avoit obtenu, et par celui de Mendoze, évêque de Ségovie, grand inquisiteur, charge qui balance, et qui a quelquefois embarrassé l’autorité royale, et que le pape confère sûr la présentation du roi.

Mendoze étoit un homme de qualité distinguée, mais un assez pauvre homme, qui n’avoit rien commis de répréhensible ni qui pût même donner du soupçon.

Il ne méritoit pas une si grande place, mais il méritoit encore moins d’être chassé. Son crime étoit d’être parvenu à ce grand poste par le crédit de la reine, qui avoit fort maltraité le cardinal durant son autorité, et après la chute de sa puissance et la mort de Charles II, le grand inquisiteur avoit tenu sa morgue avec le cardinal qu’il n’avoit pas salué assez bas dans l’éclat où il venoit de monter. Ce punto[1] espagnol qui pouvoit être loué de grandeur de courage, acheva d’allumer la colère du cardinal, ennemi de toutes les créatures de la reine et passionné de le leur faire sentir. D’ailleurs, comme assuré de toute l’autorité séculière et pour bien longtemps, sous un prince aussi jeune et étranger qui lui devoit tant, il ne pouvoit souffrir la puissance ecclésiastique dans un autre, et avoit un désir extrême de les réunir toutes deux en sa

  1. Ce mot signifie probablement ici point d’honneur.