Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 4.djvu/135

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pour les intrigues les plus considérables de ces temps-là. Elles [le] firent bientôt connoître à M. le Prince, à qui M. de La Rochefoucauld le donna, et qui demeura toujours depuis dans la maison de Condé. Les Mémoires qu’il a laissés, et ceux de tous ces temps de troubles, de la minorité du roi jusqu’à son mariage, et au retour de M. le Prince par la paix des Pyrénées, l’ont assez fait connoître pour que je n’aie rien à y ajouter.

Gourville, par son esprit, son grand sens, les amis considérables qu’il s’étoit faits, étoit devenu un personnage ; l’intimité des ministres l’y maintint, celle de M. Fouquet l’enrichit à l’excès. L’autorité qu’il acquit et qu’il se conserva à l’hôtel de Condé, où il étoit plus maître de tout que les deux princes de Condé, qui eurent en lui toute leur confiance, tout cela ensemble le soutint toujours dans une véritable considération. Il n’oublia pas en aucun temps qu’il devoit tout à M. de La Rochefoucauld, ni ce qu’il avoit été en sa jeunesse ; et quoique naturellement assez brutal, il ne se méconnut jamais, quoique mêlé toute sa vie avec la plus illustre compagnie. Le roi même le traitoit toujours avec distinction. Ce qui est prodigieux, il avoit secrètement épousé une des trois saurs de M. de La Rochefoucauld. Il étoit continuellement chez elle à l’hôtel de La Rochefoucauld, mais toujours, et avec elle-même, en ancien domestique de la maison. M. de La Rochefoucauld et toute sa famille le savoient, et presque tout le monde, mais à les voir on ne s’en seroit jamais aperçu. Les trois sœurs filles et celle-là, qui avoit beaucoup d’esprit et passant pour telle, logeoient ensemble dans un coin séparé de l’hôtel de La Rochefoucauld, et Gourville à l’hôtel de Condé. C’étoit un fort grand et gros homme, qui avoit été bien fait, et qui conserva sa bonne mine, une santé parfaite, sa tête entière jusqu’à la fin. Il avoit peu de domestiques, bien choisis. Lorsqu’il se vit fort vieux, il les fit tous venir un matin dans sa chambre ; là il leur déclara qu’il étoit fort content d’eux, mais qu’ils ne s’attendissent pas un d’eux qu’il leur laissât quoi que ce