Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 4.djvu/180

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les Estrées tant qu’il leur fut possible, et Mme de Maintenon d’autre part à remontrer au roi le désespoir où on jetteroit la reine, en laissant retirer Mme des Ursins ; qu’il étoit meilleur et plus sûr de gouverner le roi d’Espagne par la reine qui, quoi qu’on pût faire, seroit toujours maîtresse de son cœur, et par là de son esprit lent et timide, laquelle elle-même seroit conduite par Mme des Ursins si sensée, si bien intentionnée, qui déjà avoit si parfaitement formé la reine ; que la facilité de voir le roi à tous moments, et avec toute liberté, à quoi un ambassadeur ne pouvoit prétendre, étoit une grande commodité pour toutes sortes d’affaires, que l’insinuation et le choix des temps feroit toujours passer comme on voudroit d’ici. À ces raisons, Mme de Maintenon, bien instruite par Harcourt et par son propre usage, ajouta celles de la défiance si fortes en notre cour. Ils persuadèrent au roi que Mme des Ursins, associée en tout à l’ambassadeur de France, formeroit un aide et un éclaircissement mutuel, que l’un par l’autre l’empêcheroient de tomber dans la dépendance des lumières et de la volonté de l’un des deux, et le mettroient en état de décider de tout sans prévention en connoissance de cause, et d’être obéi en Espagne, promptement et sûrement, sur tous les partis qui seroient pris à Versailles.

Ce spécieux hameçon fut avalé avec facilité, et le roi ne voulut point ouïr parler de retraite en Italie, ni même que Mme des Ursins cessât d’avoir toute la part aux affaires qu’elle avoit accoutumé d’y prendre. Ainsi entraves à l’ambassadeur de France, entraves à nos ministres, entraves même à ceux d’Espagne, mystère de tout ce qu’on voulut et à quiconque on en voulut faire, dégoût complet aux Estrées qui s’étoient flattés de chasser Mme des Ursins, et qui se voyoient supplantés par elle, matières continuelles à délibérations secrètes de Mme de Maintenon avec le roi, où Harcourt ne se laissoit pas oublier, et qui sacrifia à Mme des Ursins toutes ses liaisons avec le cardinal Portocarrero, et tout ce qu’il en avoit pu