Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 4.djvu/345

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répugnance de M. de Mantoue, qui, au fond, ne pouvoit être que caprice par la beauté, la taille et la naissance de Mlle d’Elbœuf ; mais la sienne ne laissa pas de les embarrasser.

Avec un rang et du bien, initiée à tout à la cour, et avec une réputation entière, elle ne se vouloit point marier, ou se marier à son gré, et disoit toutes les mêmes raisons qu’avoit alléguées Mme de Lesdiguières pour ne point épouser M. de Mantoue. Elle avoit subjugué sa mère, qui trouvoit même son joug pesant, mais qui n’avoit garde de s’en vanter. Elle avoit donc grande envie de s’en défaire. Elle la tint à Paris, pour l’éloigner de la cour, de ses plaisirs, de ses semonces. Elle fit un présent considérable à une bâtarde de son mari qui avoit tout l’esprit du monde et toute la confiance de sa fille, et lui lit envisager une fortune en Italie. Toute la maison de Lorraine se mit après Mlle d’Elbœuf, Mlle de Lislebonne surtout et Mme d’Espinoy, qui vainquirent enfin sa résistance. Quand ils en furent venus à ce point, la souplesse auprès du roi vint au secours de l’audace d’un mariage conclu contre sa volonté qu’il leur avoit déclarée. Ils firent valoir la répugnance invincible du duc de Mantoue pour Mlle d’Enghien, celle de la duchesse de Lesdiguières pour lui, qui n’avoit pu être surmontée, et la spécieuse raison de ne pas forcer un souverain, son allié, et actuellement dans Paris, sur le choix d’une épouse, lors surtout qu’il la vouloit prendre parmi ses sujettes (car les Lorrains savent très impudemment disputer, ou très accortement avouer, selon leur convenance occasionnelle, la qualité de sujets du roi). Sa Majesté fut donc gagnée, avec cet ascendant de M. le Grand sur lui, à laisser faire sans rien défendre et aussi sans s’en mêler. M. le Prince obtint que le mariage ne se feroit pas en France, et il fut convenu que, le contrat signé entre les parties, elles s’en iraient chacune de leur côté le célébrer à Mantoue.

M. de Mantoue qui, en six ou sept mois qu’il fut à Paris,