Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 4.djvu/45

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actions, mais je dis avec vérité que j’en donnerois plusieurs de celles-là, et avoir fait celle que le comte de Lorges vient de faire à Altenheim. » Après un aussi grand témoignage, et qui fait autant d’honneur à M. le Prince qu’à M. de Lorges, ce seroit affaiblir l’action d’Altenheim que s’y étendre ; mais je ne puis m’empêcher de remarquer le grand homme en laissant le capitaine, et le grand homme que les Romains eussent également admiré. On trouvera que je ne dis pas trop, si on se représente la situation, l’étonnement, la désertion de l’armée de M. de Turenne au coup de canon qui l’emporta, la douleur extrême et subite de la perte de ce grand homme, dont M. de Lorges fut pénétré, et dont la sensibilité le devoit rendre l’homme de toute l’armée le plus stupide et le plus incapable de penser et d’agir. Qu’on ajoute à tout ce que l’amitié, la tendresse, la reconnoissance, la confiance, la vénération fit d’impression à l’excellent cœur de ce neveu si chéri, ce qu’y durent opérer après les réflexions les plus tristes de la privation d’un tel appui à la porte de la fortune dont M. de Lorges n’avoit pas reçu encore la moindre faveur et sans nul patrimoine, avec la perspective de la toute-puissance de Louvois, ennemi déclaré de M. de Turenne, et le sien particulier à cause de lui, il n’y en avoit que trop sans doute pour terrasser le cœur et l’esprit d’un homme ordinaire, et pour confondre même les opérations d’un homme au-dessus du commun, devenu général tout à coup dans de si cruelles conjonctures.

Comblé d’honneur et de gloire, et l’étonnement de Montécuculli, M. de Lorges vit peu de jours après faire plusieurs maréchaux de France sans en être, et arriver quelques-uns d’eux à la suite de M. le Prince, à qui il remit le commandement de l’armée. On peut imaginer quelle fut pour lui cette amertume. Il eut la consolation que les armées et la cour crièrent publiquement à l’iniquité, et qu’aucun des nouveaux maréchaux, venus avec M. le Prince, n’osa lui donner l’ordre, ni prendre aucun commandement sur lui.