Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 4.djvu/75

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moi en sussions rien, que par le monde. J’en parlai à la maréchale qui m’avoua l’affaire seulement fort avancée ; je ne pus m’empêcher de lui dire encore mon sentiment. J’ajoutai que, quant à moi, rien ne me convenoit davantage, mais que, par plusieurs raisons, je craignois fort qu’elle et son fils ne s’en repentissent. Alors elle me parla plus ouvertement, et je vis si bien que c’étoit chose faite que je crus en devoir faire compliment à Chamillart dès le lendemain. Ce qui me pressa là-dessus fut le souvenir d’un avis que, dès l’été que j’en avois parlé à la maréchale sur les bruits qui couroient, Mme de Noailles m’avoit averti de prendre garde à ne pas montrer de répugnance pour ce mariage, parce que les Chamillart en étoient avertis, et qu’il n’en seroit autre chose. J’allai donc voir Chamillart que je ne connoissois que comme on connoît les gens en place, et à qui je n’avois jamais parlé que lorsque, très rarement, j’avois eu affaire à lui : il quitta pour moi les directeurs des finances avec qui il travailloit. La réception fut des plus gracieuses. Je me bornois aux compliments, lorsque ce ministre, avec qui je n’avois pas la plus légère liaison, se mit à me raconter les détails du mariage, et à me faire ses plaintes des procédés qu’il avoit eus à essuyer de Mme la maréchale de Lorges ; que ce mariage, fait dès l’été, avoit traîné jusqu’alors par toutes sortes d’entortillements, et m’en dit tant, que plein de mon côté je ne pus m’empêcher de lui répondre avec la même franchise. Il m’apprit qu’une pension de vingt mille livres, que le duc de Quintin avoit obtenue à la mort de son père, étoit uniquement en faveur du mariage, et il me montra une lettre de la maréchale qu’il avoit lue au roi, dont les termes me firent rougir. Je pense qu’il n’y a point d’exemple d’une première conversation si pleine de confiance réciproque, mais prévenue par celle de Chamillart, entre deux hommes aussi peu connus l’un à l’autre, et d’âges et d’emplois si différents.

La surprise en doit être plus grande, quand on verra, comme je le raconterai bientôt, que le ministre