Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 7.djvu/129

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Mais pour donner une amulette plutôt qu’une vaine consolation à celui de Paris, il fut composé un tribunal tiré de toutes ses chambres, à la tête duquel Maisons, président à mortier, fut mis, auquel devoient ressortir les appellations des sentences de ces commissaires dans les provinces. Ils ne partirent que trois mois après leur établissement. Ils firent des courses vaines, et pas un d’eux n’eut jamais aucune connoissance de cette police. Ainsi ils ne trouvèrent rien parce qu’on s’étoit mis en état qu’ils ne pussent rien rencontrer, par conséquent ni jugement ni appel, faute de matière. Cette ténébreuse besogne demeura ainsi entre les mains d’Argenson et des seuls intendants, dont on se garda bien de la laisser sortir ni éclairer, et elle continua d’être administrée avec la même dureté.

Sans porter de jugement plus précis sur qui l’inventa et en profita, il se peut dire qu’il n’y a guère de siècle qui ait produit un ouvrage plus obscur, plus hardi, mieux tissu, d’une oppression plus constante, plus sûre, plus cruelle. Les sommes qu’il produisit sont innombrables, et innombrable le peuple qui en mourut de faim réelle et à la lettre, et de ce qu’il en périt après des maladies causées par l’extrémité de la misère, le nombre infini de familles ruinées, et les cascades de maux de toute espèce qui en dérivèrent.

Avec cela néanmoins les payements les plus inviolables commencèrent à s’altérer. Ceux de la douane, ceux des diverses caisses d’emprunts, les rentes de l’hôtel de ville, en tous temps si sacrées, tout fut suspendu, ces dernières seulement continuées, mais avec des délais, puis des retranchements, qui désolèrent presque toutes les familles de Paris et bien d’autres. En même temps les impôts haussés, multipliés, exigés avec les plus extrêmes rigueurs, achevèrent de dévaster la France. Tout renchérit au delà du croyable, tandis qu’il ne restoit plus de quoi acheter au meilleur marché ; et quoique la plupart des bestiaux eussent péri faute de nourriture, et par la misère de ceux qui en