Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 7.djvu/131

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même donner du pain. On l’a imité partout, et il en a été fait conseiller d’État. Le monopole des employés à ces ouvrages les a enrichis, le peuple en est mort de faim et de misère à tas, à la fin la chose n’a plus été soutenable et a été abandonnée et les chemins aussi. Mais l’imposition pour les faire et les entretenir n’en a pas mains subsisté pendant ces corvées et depuis, et pas moins touchée comme une branche des revenus du roi.

Ce manége des blés a paru une si bonne ressource, et si conforme à l’humanité et aux lumières de M. le Duc et des Pâris, maîtres du royaume sous son ministère, et maintenant que j’écris, au contrôleur général Orry, le plus ignorant et le plus barbare qui administra jamais les finances, que l’un et l’autre ont saisi la même ressource, mais plus grossièrement, comme eux-mêmes, et avec le même succès de famine factice qui a dévasté le royaume.

Mais pour revenir à l’année 1709, où nous en sommes, on ne cessoit de s’étonner de ce que pouvoit devenir tout l’argent du royaume. Personne ne pouvoit plus payer, parce que personne ne l’étoit soi-même ; les gens de la campagne, à bout d’exactions et de non-valeurs, étoient devenus insolvables. Le commerce tari ne rendoit plus rien, la bonne foi et la confiance abolies. Ainsi le roi n’avoit plus de ressource que la terreur et l’usage de sa puissance sans bornes, qui, tout illimitée qu’elle fût, manquoit aussi, faute d’avoir sur quoi prendre et s’exercer. Plus de circulation, plus de voies de la rétablir. Le roi ne payoit plus même ses troupes, sans qu’on pût imaginer ce que devenoient tant de millions qui entroient dans ses coffres.

C’est l’état affreux où tout se trouvoit réduit lorsque Rouillé, et tôt après lui Torcy, furent envoyés en Hollande. Ce tableau est exact ; fidèle et point chargé. Il étoit nécessaire de le présenter au naturel, pour faire comprendre l’extrémité dernière où on étoit réduit, l’énormité des relâchements où le roi se laissa porter pour obtenir la paix, et