Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 7.djvu/398

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Villars arriva triomphant ; le roi voulut qu’il vînt et demeurât à Versailles pour que Maréchal ne perdît pas de vue sa blessure, et il lui prêta le bel appartement de M. le prince de Conti qui étoit dans la galerie basse de l’aile neuve, parce qu’il n’avoit qu’un fort petit logement tout au haut du château, où il eût été difficile de le porter. Quel contraste, quelle différence de services, de mérite, d’état, de vertu, de situation, entre ces deux hommes ! quel fonds inépuisable de réflexions !

Cette année en fournit encore de plus grandes par le changement qui arriva dans le Nord, l’abaissement, pour ne pas dire l’anéantissement de la Suède qui avoit si souvent fait trembler le Nord, et plus d’une fois l’empire et la maison d’Autriche ; et l’élévation formidable depuis d’une autre puissance jusqu’alors inconnue, excepté le nom, et qui n’avoit jamais influé hors de chez elle et de ses plus proches voisins. Ce fut l’effet de l’étrange parti que prit le roi de Suède, qui, enivré de ses exploits et du désir de détrôner le czar comme il avoit fait le roi de Pologne, séduit par les funestes conseils de Piper, son unique ministre, que l’argent des alliés contre la France avoit corrompu, pour se délivrer d’un prince qui s’étoit rendu si formidable, et avec lequel ils avoient tous été forcés plus d’une fois à compter, il s’engagea à poursuivre le czar, qui, en fuyant devant lui avec art, anima son courage et son espérance, l’engagea dans des pays qu’il avoit fait dévaster, ruina son armée par toutes sortes de besoins, de famine, de misères, le força ensuite de désespoir à un combat désavantageux, où toute son armée périt sans aucune retraite, et où lui-même, fort blessé, n’en trouva qu’à Bender, chez les Turcs, où il arriva à grand’peine et à travers mille périls, lui troisième ou quatrième.