Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 7.djvu/460

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parvenir. Il est important de détruire le fondement d’une pareille tentation, qui pourroit être dangereuse. Il n’y a pour cela qu’à leur faire faire attention sur les articles préliminaires que les alliés ont proposés en dernier lieu à la Haye, et qu’ils ont fait imprimer dans toutes les langues. On voit dans ces articles qu’il y a des démembrements promis aux Hollandois, au roi de Portugal et au duc de Savoie, et qu’on se réserve encore le pouvoir de régler d’autres conventions entre l’archiduc et les alliés ; ce qu’on ne peut presque douter qui ne regarde les États d’Italie, qu’on sait que l’empereur veut s’approprier. Si l’on prend soin de faire faire là-dessus de sérieuses réflexions aux Espagnols, ceux qui sont de bonne foi et non prévenus de passion ne pourront s’empêcher de convenir qu’ils ne trouveront aucun avantage particulier à avoir l’archiduc pour maître.

« La seconde idée, dont on peut faire usage avec gens de toute condition, surtout avec les ecclésiastiques, c’est qu’il est visible que la religion souffriroit beaucoup par un changement de domination. On ne peut douter que les Anglois et les Hollandois, qui ne font la guerre que pour leur commerce, ne se rendissent maîtres absolus de celui des Indes et par conséquent des principaux ports de ces vastes royaumes, où ils ne manqueroient pas d’introduire leur religion. Il faut s’attendre en même temps qu’ils s’établiroient de la même manière à Cadix, à Bilbao, à Mahon et peut-être dans d’autres ports d’Espagne, et que la cour de Madrid ne pourroit plus s’y faire obéir que sous leur bon plaisir. On sait ce qu’ils ont fait en Aragon et en Valence, pendant qu’ils en ont été les maîtres ; que la doctrine catholique y a été corrompue en bien des endroits, et que l’on a trouvé sur un vaisseau anglois qui a été pris, quatorze mille exemplaires du catéchisme de la liturgie anglicane, que la reine Anne envoyoit pour faire distribuer dans ces deux royaumes.

« La troisième idée consiste à faire connoître aux Espagnols qu’il leur convient beaucoup plus par rapport à leur repos et à leur sûreté que le roi Philippe V demeure sur le trône que d’y laisser monter l’archiduc. On ne peut disconvenir, dans ce dernier cas, que, malgré l’usurpation violente du prince autrichien, les droits du roi d’Espagne et du prince des Asturies, juré et reconnu par les états, ne demeurent en leur entier, surtout ceux du prince des Asturies, qui n’est pas en âge de faire une renonciation. La France rétablira ses affaires après quelques années de paix, comme les alliés le publient eux-mêmes ; elle sera en état de remettre sur pied de nouvelles et nombreuses armées, et dix ans ne se passeront pas que Philippe V, ou en son nom ou en celui du prince des Asturies, ne rentre en Espagne et n’en fasse la conquête. Ce royaume deviendra alors le théâtre de la guerre, et Dieu sait à combien de désolations et de nouveaux malheurs il se trouvera exposé, au lieu que conservant