Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 7.djvu/83

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pas le moins du monde, et après un peu de silence il s’en alla. C’étoit l’homme le plus naturellement plaisant, et avec le plus d’esprit et de sel et le plus continuellement, dont j’ai ouï faire au feu roi cent contes meilleurs les uns que les autres qu’il se plaisoit à raconter.

Mme de Vivonne avoit été de tous les particuliers du roi qui ne pouvoit s’en passer ; mais il s’en falloit bien qu’il l’eût tant ni quand il vouloit. Elle étoit haute, libre et capricieuse, ne se soucioit de faveur ni de privante et ne vouloit que son amusement. Mme de Montespan et Mme de Thianges la ménageoient, et elle les ménageoit fort peu. C’étoit souvent entre elles des disputes et des scènes, excellentes. Elle aimoit fort le jeu et y étoit furieuse même les dernières années de sa vie qu’elle fut dévote tant qu’elle put, et réduite, après avoir tout fricassé elle et son mari, mort dès 1688, à n’avoir presque rien qu’une grosse pension du roi, et à loger chez sort intendant avec un train fort court, où elle jouoit peu et aux riens, et conserva toujours de la considération, mais laissa peu de regrets.

Boisseuil mourut en peu de temps. C’étoit un gentilhomme grand et gros, fort bien fait en son temps, excellent homme de cheval, grand connoisseur, qui dressoit tous ceux du roi, et qui commandoit la grande écurie, parce que Lyonne [1], qui en étoit premier écuyer, ne fit jamais sa charge. Boisseuil s’étoit mis par là fort au goût du roi, qui le traita toujours avec distinction. C’étoit un honnête homme et fort brave, qui vouloit être à sa place et respectueux, mais qui étoit gâté de la confiance entière de M. le Grand et de Mme d’Armagnac qu’il conserva toute sa vie. Il étoit parvenu à les subjuguer et à être tellement maître de tout à la grande écurie, excepté du pécuniaire, que Mme d’Armagnac s’étoit réservé et qu’elle fit étrangement valoir, qu’il y étoit compté pour tout, et le comte de Brionne pour rien.

  1. Le manuscrit porte Lyonne ; mais il faut probablement lire Brionne comme on le voit par la fin du paragraphe.