Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 8.djvu/125

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tout de suite menèrent le nouveau M. le Duc attendre le roi dans ses cabinets, à qui ils le présentèrent. Ce prince, dont la sensibilité n’avoit pas édifié à l’hôtel de Condé, avoit plus de dix-sept ans. Le roi permit qu’il fît auprès de lui le service de grand maître, mais il ne voulut pas lui commettre l’exercice réel de cette charge ni du gouvernement de Bourgogne, et, de concert avec Mme la Duchesse, il chargea d’Antin du détail de l’un et de l’autre, de ses biens et de sa conduite, ce qui se déclara quelques jours après. Mme la Princesse étoit à Maubuisson ; elle avoit conservé beaucoup d’affection pour cette maison, quoiqu’elle eût perdu sa célèbre tante. Elle vint en diligence et apprit la mort de M. son fils, parce que malgré ses cris elle fut menée non à l’hôtel de Condé, mais chez elle au Petit-Luxembourg, maison qu’elle avoit superbement bâtie depuis la mort de M. le Prince, et qu’elle achevoit encore alors. Elle envoya aussitôt au roi Saintrailles le supplier de vouloir bien mettre la paix dans sa famille. Le roi lui promit d’y travailler, et ordonna à Saintrailles de demeurer auprès de M. le Duc comme il étoit auprès du père, dont il commandoit l’écurie. C’étoit un homme sage avec de l’esprit, fort mêlé dans la meilleure compagnie, mais qui l’avoit gâté en l’élevant au-dessus de son petit état, et qui l’avoit rendu important jusqu’à l’impertinence. C’étoit un gentilhomme tout simple et brave, mais qui n’étoit rien moins que Poton, qui est le nom du fameux Saintrailles.

La mort du poëte Santeuil aux états de Bourgogne, l’aventure inouïe du comte de Fiesque à Saint-Maur, et d’autres choses encore qui se trouvent ci-devant éparses, ont déjà donné un crayon de M. le Duc : c’étoit un homme très-considérablement plus petit que les plus petits hommes, qui sans être gras étoit gros de partout, la tête grosse à surprendre, et un visage qui faisoit peur. On disoit qu’un nain de Mme la Princesse en étoit cause. Il étoit d’un jaune livide, l’air presque toujours furieux, mais en tout temps si