Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 8.djvu/129

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

et dans le monde. Le premier pas pour arriver à un rang supérieur aux princes du sang étoit d’en être distinguée, et pour cela, il falloit au moins commencer par les précéder. À l’égard des filles nulle difficulté par l’aînesse de la branche d’Orléans, mais pour les femmes des princes du sang et de leurs veuves, ce qui étoit la même chose, c’est où étoit l’embarras. Point d’exemple en nulle condition en France où entre personnes de même rang et de même condition les femmes ne passassent partout devant les filles, et cet usage s’étoit toujours observé parmi les princesses du sang de toutes les branches. Il ne parut pas prudent de lever tout d’un coup le masque sur la prétention d’un nom et d’un rang nouveaux et inconnus d’arrière-petit-fils de France. Mme la duchesse d’Orléans eut peur d’effaroucher par trop ; mais, voulant le former peu à peu et aller par degrés d’une prétention à l’autre, elle commença à prétendre que ses filles précédassent les femmes des princes du sang à titre seulement d’aînesse, pour, ce point gagné, venir au reste par échelons. Ainsi elle ne présenta ni ne montra sa fille pour avoir le temps de se tourner.

Elle la fit appeler Mademoiselle tout court au Palais-Royal, n’y en ayant plus de ce nom depuis le mariage de Mme de Lorraine. Du Palais-Royal, cette dénomination gagna Paris, et le monde s’y accoutuma ; les princes du sang plus que les autres ravis qu’une princesse du sang succédât à un nom qui n’avoit jusque-là été usité que pour deux petites-filles de France. Dans la suite il s’établit tout à fait ; le roi n’en dit rien, laissa faire, après quoi Mme la duchesse d’Orléans auroit trouvé fort mauvais si quelqu’un avoit appelé sa fille autrement. Le dédain de la produire et quelques petites simagrées observées chez elle, quoique dans le plus petit particulier où on la tenoit renfermée, et dont on ne s’accommoda pas, commença à faire murmurer, et comme cela perça, les princes du sang se réveillèrent et se tinrent en garde sans mot dire. Enfin il se présenta des contrats de mariages de