Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 8.djvu/141

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d’un voile de politique pour embarrasser le roi, disoit-elle, et l’obliger à en venir au mariage qu’elle désiroit. M. le duc d’Orléans, infiniment moins fâché et, pour cette fois, beaucoup plus raisonnable qu’elle, combattoit son opinion, à laquelle il fallut pourtant céder pour quelques temps. On étoit en carême, le roi alloit trois fois la semaine au sermon, où les princesses étoient en rang ; elle s’opiniâtra à ne vouloir point que Mademoiselle s’y trouvât. Pour achever de suite cette matière, elle voulut faire un voyage à Paris, tant pour s’éloigner du roi d’une manière plus marquée et moins accoutumée que pour chercher consolation dans la pleine jouissance du Palais-Royal, et d’une cour dans Paris, pour la première fois de sa vie, par la défaite de Mme d’Argenton. Le succès passa ses espérances : elle y régna sur la cour de M. le duc d’Orléans, qui auparavant la regardoit à peine, et ses appartements ne désemplirent point de tout ce qu’il y eut de plus distingué. Transportée d’un état si brillant et si nouveau pour elle, elle me témoigna souvent combien elle étoit sensible à tout ce que j’avois fait. La bienséance qui, sitôt après la mort de M. le Duc, les empêchoit de se montrer à l’Opéra en public, lui procura un nouveau plaisir. Elle y alla dans la petite loge faite exprès pour Mme d’Argenton, de qui elle triompha en toutes les façons, et M. le duc d’Orléans et elle m’obligèrent d’y aller avec eux.

Huit jours se passèrent dans cette pompe, après lesquels il fallut retourner à Versailles, où ce voyage ne fut pas désapprouvé. Cependant, Mme la duchesse d’Orléans n’en devint pas plus traitable. La duchesse de Villeroy y échoua ; et Mme la duchesse de Bourgogne, qui résolut de lui parler et qui le fit avec beaucoup d’esprit, d’amitié et d’adresse, n’en eut pas plus de contentement. Elle voyoit que cette conduite gâtoit tout pour le mariage de Mademoiselle avec M. le duc de Berry, et elle le désiroit pour les raisons qui s’en verront en leur temps. Mme la duchesse d’Orléans demeuroit ferme