Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 8.djvu/174

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emplois, au moins avec quelque durée, dans les premiers temps connus, constituent une grandeur effective, et non des choses modernes, passagères, et, pour ceux dont je parle, depuis lors sans suite et sans trace de l’homme illustre dont ils font bouclier, duquel le plus souvent ils ne descendent même pas. Mais revenons à la maréchale de La Meilleraye. On parloit devant elle de la mort du chevalier de Savoie, frère du comte de Soissons et du fameux prince Eugène, mort fort jeune, fort brusquement, fort débauché et fort plein de bénéfices, et on moralisoit là-dessus. Elle écouta quelque temps, puis, avec un air de conviction et d’assurance : « Pour moi, dit-elle, je suis persuadée qu’à un homme de cette naissance-là, Dieu y regarde à deux fois à le damner. » On éclata de rire, mais on ne la fit pas revenir de son opinion. Sa vanité fut cruellement punie. Elle faisoit volontiers des excuses d’avoir épousé le maréchal de La Meilleraye, dont elle fut la seconde femme, et n’en eut point d’enfants. Après sa mort, amourachée, devant ou après, de Saint-Ruth qu’elle avoit vu page de son mari, elle l’épousa et se garda bien de perdre son tabouret en déclarant son mariage. Saint-Ruth étoit un très-simple gentilhomme fort pauvre, grand et bien fait, et que tout le monde a connu ; extrêmement laid : je ne sais s’il l’étoit devenu depuis son mariage. C’étoit un fort brave homme et qui acquit de la capacité à la guerre, et qui parvint avec distinction à devenir lieutenant des gardes du corps, et lieutenant général. Il étoit aussi fort brutal, et quand la maréchale de La Meilleraye lui échauffoit les oreilles, il jouoit du bâton et la rouoit de coups. Tant fut procédé que la maréchale, n’y pouvant plus durer, demanda une audience du roi, lui avoua sa faiblesse et sa honte, lui conta sa déconvenue, et implora sa protection. Le roi avec bonté lui promit d’y mettre ordre. Il lava la tête à Saint-Ruth dans son cabinet, et lui défendit de maltraiter la maréchale. Cela fut plus fort que lui. Nouvelles plaintes de la maréchale. Le roi se fâcha tout de bon et menaça