Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 8.djvu/181

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

garantir des ténèbres les plus épaisses qui, répandues dans tout par l’ignorance des instruments de tout, qui sont les hommes, précipitent en des erreurs dont rien ne peut préserver, auxquelles nulle autre connoissance ne peut suppléer, et dont toutes les suites deviennent des abîmes en tout genre. Ce n’est donc pas un médiocre avantage à un prince qui doit régner de vivre assez longtemps sujet, en âge de discernement, pour pouvoir connoître les hommes par une sorte de familiarité et de communication avec eux, qu’écarte ou qu’obscurcit d’ordinaire l’éclat du diadème, et de profiter d’un intervalle de temps dont l’incertitude de la durée ne sert pas peu à lui laisser voir les hommes à peu près tels qu’ils sont, puisque, ne pouvant guère espérer pour le présent et pour le futur qu’avec incertitude d’un prince encore éloigné de la distribution des grâces, et néanmoins approchant souvent et familièrement de lui, la liberté et l’impatience naturelle des hommes ne se trouvant point captivée par la vivacité des vues présentes, et se rencontrant souvent dans l’occasion, résistent difficilement à la longue à les montrer à découvert tels qu’ils sont, et par ce moyen instruisent infiniment un prince d’eux-mêmes et des autres. Ce raisonnement mal expliqué, mais à la vérité duquel il se trouveroit, je crois, peu de contradicteurs, me conduit à me plaindre de deux choses, l’une réelle, l’autre de l’effet qu’elle produit. C’est que Mgr le duc de Bourgogne ne peut connoître les hommes à la vie qu’il mène, que conséquemment il ne peut en être connu et qu’il ne l’est point en effet ; son temps n’est partagé qu’en deux sortes d’occupations, dont les unes, conformes à son goût, le renferment dans le sérieux et la solitude cachée de son cabinet ; les autres, présentées par les liens de son état, sont par lui tournées de manière à ne l’éloigner pas moins que les premières de cette double connoissance des hommes, si recommandable et base unique du bon usage de toutes les autres. Il est un temps qui doit être principalement consacré à l’instruction