Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 8.djvu/230

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Ce côté-là saisi, je mis la main sur un autre qui n’étoit pas moins important : ce fut les jésuites. L’affaire de mon ambassade de Rome, où d’Antin avoit vainement été mon concurrent, m’avoit appris combien ils le haïssaient ; et tout ce qu’ils avoient employé pour l’exclure, jusqu’à son su, me répondoit qu’ils l’en craignoient bien davantage. J’étois bien informé qu’ils n’avoient ni moins d’éloignement ni moins d’appréhension de Mme la Duchesse. Je ne pouvois ignorer qu’ils affectionnoient assez M. le duc d’Orléans, ce que j’avois pris soin de cultiver. Je crus donc facile de profiter de si heureuses dispositions. J’obtins de M. [le duc] et de Mme la duchesse d’Orléans qu’ils fissent confidence de leurs désirs au P. du Trévoux. Ce jésuite avoit été confesseur de Monsieur jusqu’à sa mort. M. le duc d’Orléans, dont la vie ne cadroit pas avec la fonction d’un pareil officier, n’avoit pas laissé de lui en conserver le titre et l’utile, pour faire avec lui la nomination des abbayes et des autres bénéfices de son apanage, dont le roi avoit donné le droit à la mort de Monsieur.

Ce P. du Trévoux, gentilhomme de Bretagne de bon lieu, étoit un petit homme assez ridicule, bon homme, qui se prenoit par l’amitié et la confiance, de fort peu d’esprit, et de sens assez court, et qui avec tout cela ne laissoit pas d’être ami intime et à toute portée du P. Tellier, qui en avoit si peu jusque dans sa compagnie. Mais il n’y avoit que de certaines choses que M. [le duc] et Mme la duchesse d’Orléans pussent dire à ce cerveau étroit, et d’autres qui eussent perdu leur grâce et leur force dans leur bouche. Ce fut à quoi je suppléai amplement et utilement par le P. Sanadon, autre ami intime du P. Tellier, mais à leur insu, parce que je ne voulois pas leur montrer tous mes ressorts, quoique ce fût pour eux que je les misse en œuvre, pour ne les pas ralentir et apparesser par compter trop sur mon industrie. Je fis donc entendre à ce père les mêmes choses qu’ils disoient au P. du Trévoux, mais avec plus de force. Je les