Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 8.djvu/363

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et tous les autres, ravis d’une si belle ouverture, la suivirent l’un après l’autre, et la confirmèrent jusqu’au-dernier. Alors Villars, dans le soulagement qu’on peut juger, insista pour faire mieux confirmer et consolider la chose, puis, éclatant contre l’inventeur d’une si affreuse calomnie, contre l’imposteur qui l’avoit écrite à la cour, adressa la parole à Heudicourt qu’il traita de la plus cruelle façon du monde. Le petit bon, qui n’avoit pas prévu qu’il seroit découvert ni la scène où il se trouvoit, fut étrangement interdit, et se voulut défendre ; mais Villars produisit des preuves qui ne purent être contredites. Alors le vilain, acculé, avoua sa turpitude, et eut l’audace de s’approcher de Villars pour lui parler bas ; mais le maréchal, se reculant et le repoussant avec un air d’indignation, lui dit de parler tout haut, parce que, avec des fripons de sa sorte, il ne vouloit rien de particulier. Alors Heudicourt, reprenant ses esprits, se livra à toute son impudence. Il soutint qu’aucuns de tout ce qui étoit là et que Villars avoit interrogé, n’osoient lui déplaire en face, mais [qu’ils] savoient fort bien tous la vérité du fait, telle qu’il l’avoit écrite ; qu’il pouvoit avoir tort de l’avoir mandée, mais qu’il n’avoit pas imaginé que dite en si nombreuse compagnie et en lieu si public, elle pût demeurer secrète, et qu’il fît plus mal de la mander que tant d’autres qui en avoient pu faire autant.

Le maréchal, outré de colère d’entendre une réponse si hardie, et au moins si vraisemblable, lui reprocha ses bienfaits et sa scélératesse. Il ajouta que, quand la chose seroit vraie, il n’y auroit pas moins de crime à lui de la publier qu’à l’inventer, [après] toutes les obligations qu’il lui avoit ; le chassa de sa présence ; et quelques moments après le fit arrêter et conduire au château de Calais. Cette violente scène fit à l’armée et à la cour autant de bruit que ce qui l’avoit causée. La conduite suivie et publique du maréchal fut approuvée. Le roi déclara qu’il le laissoit maître du sort d’Heudicourt ; Mme de Maintenon et Mme la duchesse de