Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 8.djvu/373

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prodigieuse fortune dont les établissements immenses n’ont pu gagner ni satisfaire eux ni leur postérité. Le roi apprit cette évasion par un paquet adressé à Torcy, laissé par le cardinal à Arras, sur sa table. C’étoit une lettre au roi avec une simple adresse à Torcy de deux mots. Cette lettre est une si monstrueuse production d’insolence, de folie, de félonie, que sa rareté mérite d’être insérée ici. Jusqu’au style est extravagant qui, à force d’entasser tout ce dont ce cœur et cette tête regorgeoit, rend cette lettre à peine intelligible.

« Sire,

« J’envoie à Votre Majesté par cette lettre que je me donne l’honneur de lui écrire, après dix ans et plus des plus inouïes, des plus injustes et des moins méritées souffrances, accompagnées durant tout ce temps-là de ma part, de la plus constante et peut-être trop outrée, non-seulement à l’égard du monde, mais à l’égard de Dieu et de son Église, patience, et du plus profond silence ; j’envoie, dis-je, à Votre Majesté avec un très-profond respect la démission volontaire, qui ne peut être regardée par personne comme l’aveu d’un crime que je n’ai pas commis, de ma charge de grand aumônier de France et de ma dignité de l’un des neuf prélats commandeurs de l’ordre du Saint-Esprit qui a l’honneur d’avoir Votre Majesté pour chef et grand maître, qui a juré sur les saints Évangiles le jour de son sacre l’exacte observation des statuts dudit ordre, en conséquence desquels statuts je joins dans cette lettre le cordon et la croix de l’ordre du Saint-Esprit, que par respect et soumission pour Votre Majesté j’ai toujours porté sous mes habits depuis l’arrêt que Votre Majesté rendit contre moi, absent et non entendu dans son conseil d’en haut [1], le il septembre 1701. En conséquence,

  1. Il ne faut pas confondre le conseils d’en haut, avec les conseils du roi, dont il a été question à la fin du t. Ier p. 445, note. Le conseil d’en haut ne se composait que d’un petit nombre de ministres. Les secrétaires d’État y rapportaient les affaires, tandis que, dans les conseils du roi, cette fonction appartenait aux maîtres des requêtes. À l’époque dont parle Saint-Simon, le roi, le Dauphin, le chancelier, le duc de Beauvilliers et le secrétaire d’État rapporteur formaient le conseil d’en haut.